des retrouvailles atypiques

Si ma rage et la douleur qui m'habite m'invite à exploser ma colère face à toi, je demeure sensible à la manière que tu as de me fixer et de t'inquiéter. Si tous mes muscles ont un mouvement de recul jusqu'alors je m'efforce de ravaler ma fierté, car la crainte de te voir partir est profonde. Je ne dis mot. Le visage ferme et me relaisse tomber sur l'oreiller avec un goût âpre au fond de la bouche.

Tu abandonnes finalement ta froideur contre moi, mais tu te refermes. Tu oublies l'idée de t'envoler de l'hôpital et tu sembles comprendre que c'est important d'être soigné. Tu cesses de faire ton têtu et ça m'apaise dans un premier temps. Je viens caresser ta nuque pour tenter de t'apaiser. "Merci" J'esquisse un léger sourire pour tenter d'instaurer une complicité.

Je suis nerveux. Je ne veux pas être consulté, car c'est comme ça qu'a commencé les emmerdes avec ma soeur. Tu caresses ma nuque mais cela n'a presque aucun effet. "Je sais même pas comment je vais payer leur connerie. Fais chier." Je rage dans mes dents. "Je planais c'est bon. J'étais bien là bas. T'aurai dû m'y laisser." Et ma rage éclate de nouveau moins violente mais toujours aussi franche.

Tu me fais bien comprendre que j'ai commis une erreur de jugement, même une erreur tout court. Je suis peiné chaque fois que ta rage m'explose à la figure. Je ne sais pas comment agir à part en te déversant de la douceur. "Je te payerai l'hôpital. Ne t'en fais pas pour ça." Je ferai n'importe quoi pour toi et tu n'as pas les moyens. "Pour prendre le risque que tu te réveilles pas ? Sûrement pas."

"Merci, mais tu n'aurai pas à le faire si tu ne m'avais pas amené ici. Je vais très bien, putain. Tu bosses pas pour me faire soigner. Ce n'est pas ton rôle." Ma rage continue de se déverser, accentuée par ma frustration de te ruiner pour une telle connerie. "Je me serai réveillé. Ce n'est pas la première fois que je me défonce comme ça. Et au fond ça me regarde si je veux pas me réveiller. Y'a d'autres moyens."

"Et ça te regarde pas si j'ai envie de te payer l'hôpital. OK ? Alors fais autant de reproches que tu veux mais je ne regretterais pas car tu n'as pas vu dans l'état que tu étais. Je sais que c'était le mieux et tant pis si tu le comprends pas. Moi je te veux vivant." Je commente avec douceur et franchise, extirpant mes pensées frustrées de ma bouche. "Très bien. Mais je te laisserai pas mourir même si tu le veux. Je suis pas capable de l'accepter ! Pourquoi tu dis des trucs comme ça..." J'ai les larmes aux yeux et je suis obligé de m'asseoir pour ne pas défaillir. Ma main s'accroche à la tienne. L'idée de te perdre me terrorise.

Tu t'imposes par tes propos et je n'ai pas la force de débattre à ce sujet. Sans doute parce que je prends conscience que tu as toute légitimité à t'exprimer de la sorte bien que ma fierté me donne envie de te voler dans les plumes. "C'était juste une manière de parler. Je n'ai aucune envie de me buter. Je suis pas faible et dépressif. Pas la peine de te faire une syncope en t'inquiétant." Je hausse les épaules avec cette nonchalance qui me caractérise tellement.

Je garde ta main dans la mienne parce que je suis incapable de me décrocher de toi. Je me penche même vers toi pour venir embrasser ta main que je serre. "Je sais... Tu es fort. C'est moi qui suis fragile. Désolé. J'ai eu peur... Tu sais pas à quel point je tiens à toi Lip..." Je soupire en te regardant dans les yeux. J'aimerais que tu comprennes combien tu es important pour moi.

Ma tête me fait mal. J'ai une sensation âpre au fond de la gorge. Je tente d'être insensible à tes propos mais n'est pas facile. "OK..." Je souffle dans un ton ferme, sans te regarder. Mon regard semble indifférent, mais il est évident que cela me touche sinon ma fierté n'aurait pas manqué de te rappeler à l'autre pour m'éviter ton sentimentalisme. "Tu peux aller m'acheter à boire quelque chose ? J'ai la gorge sèche."

Tu sembles mettre de côté ta colère, grâce à mes paroles pleines d'excuses et de tendresses peut-être. Je vide seulement ce que j'ai sur le coeur pour te faire regagner la réalité. "OK je vais te chercher ça." Je me relève puis viens embrasser ta joue. Rien qu'aller te chercher une boisson, me séparer de toi me paraît l'horreur. Je prends des pièces dans ma poche en même temps de m'envoler dans le couloir, te lançant un dernier regard inquiet. J'avance jusqu'à la machine pour prendre une bouteille de coca.