Karuli - happy misfortune

Je l'entendis et le sentis s'asseoir à côté de moi. Être si proche de lui de nouveau avait un effet calmant. Le savoir si près était sûrement la chose la plus apaisante au monde. Après la présence de Vanille. Mais malheureusement, elle n'était plus de notre monde, elle avait rejoint Notre Père et ne souffrait plus. Je m'étais remis de sa mort, mais elle me manquait toujours. J'avais aimé d'autres personnes après elle, mais aucune autant. Heureusement que Loeiz était là, à cette époque. Je n'aurais pas réussi à continuer sans elle et sans lui. Peut-être que Lopez aurait mieux fait de me tuer. Oui, il aurait dû. La pointe d'agacement indissociable de son ton ironique me fit sourire faiblement. Reniflant, je remontai légèrement la tête, sans pour autant oser le regarder. Soudain, je sentis quelque chose passer sur mon visage. Je sursautai légèrement et lui jetai un regard du coin de l'oeil. Il avait l'air concentré à essuyer mes larmes. Ce n'était pas quelque chose qu'il devait avoir l'habitude de faire... c'est moi d'habitude, qui fait attention à lui. Pas l'inverse. Ça avait toujours été moi, qui m'occupait de la famille. Notre mère aussi, évidemment, mais quand elle allait mal, je faisais tout à sa place, je l'obligeais à se reposer. J'étais le grand frère, celui toujours là pour ses frères et sœurs, qui ne montrait jamais ses émotions, ou qu'une partie. On a un million de choses à se dire, je suppose. On va chez qui ? J'hésitai quelques instants, ça m'étonnerait que ça ne soit pas Alep chez moi. J'habite dans le quartier. Par contre, comme tu t'en doutes sûrement, c'est le bordel... je sais même plus dans quel état c'est. Faudrait peut-être que je pense à ranger. Je commençai à me lever, en me pinçant le nez lorsque je sentis qu'il allait recommencer à saigner. J'avais déjà une grosse tâche de sang sur mon blouson, j'avais pas envie d'en avoir encore plus. D'ailleurs, j'espérais que j'allais pouvoir ôter tout ce sang avant qu'il n'ait l'idée d'y toucher. Il n'y a pas de bonnes choses dans mon sang.

Tu étais un peu sur le cul, encore secoué par tout ce qui venait de se passer. T'étais venu dans la zone pour trouver TJ. Maintenant tu rentrais avec ton jumeau sensé être mort depuis plusieurs années. Qui se remet facilement de ça ? Pas toi en tout cas. Tu vas sûrement passer le reste des jours suivants à boire, fumer, jouer, déconner... tuer. Un max de sang pour te défouler de toute cette colère. Tes prochaines cibles n'ont qu'à bien se tenir. Quand il te dit qu'il habite dans le coin, tu es interloqué. Lui, ton frère ? Dans l'un des quartiers les plus pauvres et mal famés de la ville ? C'est une blague ? T'essaies de voir la scène en couleurs, blanc-noir, néon... na, impossible, ça ne passe pas. En même temps, ça ne t'étonnes pas. Il est au Nord, t'es au Sud. Inconsciemment, vous continuez de prendre des chemins différents, comme toujours. Tu te relèves aussi, inquiet de la manière dont il se tient le nez. Il saigne sûrement. Tu regrettes maintenant, t'aurais pas dû lui donner ce coup au ventre. Tu ressors ton mouchoir et t'approches de lui pour l'aider mais il a un mouvement recul. Tu t'arrêtes, surpris. Puis tu refais un pas en arrière et lui tends le mouchoir. Je voulais juste t'aider. Tu te demandes s'il a peur de toi. Ce serait la meilleure. Il sait que t'es énervé contre lui mais pas au point de le tuer. Il le sait hein ? Tu passes une main dans tes cheveux, fatigué. Tu peux pas habiter dans ce quartier Az, c'est pas sûr. Tôt ou tard, un autre connard te prendra pour moi. Ils sont pas tous des Lopez, tu sais. Autrement dit, si tu restes ici tu finiras par te faire tuer à ma place, pour de vrai cette fois. Et hors de question que cela arrive. Tu regardes la montre à ton poignet. Il est tard. Terriblement tard. Tu regrettes pour le coup de ne pas avoir emmené ta voiture. C'est loin chez toi ? On passe prendre quelques affaires et on un prend taxi pour chez moi. Tu parles sur un ton ferme et autoritaire, qu'il comprenne que tu ne demandes pas son avis en réalité. Ce quartier n'a rien de sécuritaire, tu ne seras jamais tranquille s'il est ici, surtout pas ce soir. Pour une fois, tu te retrouves à sa place. D'habitude, c'est lui qui s'occupe de toi, qui prend les décisions importantes, qui t'évite de faire des bêtises extrêmes. Pour une fois que les rôles sont inversés, tu te rends compte de combien son poids toutes ces années à été lourd à porter. Rien que de l'imaginer dormir dans cet endroit mal famé, t'en as des sueurs froides dans le dos. Lui il a ressenti pendant plus de vingt ans, surtout avec toi qui avait le hic pour te rendre dans des situations dangereuses au possible. Il a pris soin de toi. Il est temps que tu prennes un peu soin de lui en retour.

Il approcha de nouveau son mouchoir de moi. Sûrement pour essuyer le sang coulant de mon nez à cause du coup de l'autre malade qui m'avait pris pour lui. Peu importe la raison, je reculai d'un pas. Il suffirait qu'il ait une coupure sur les doigts, même minuscule, pour tomber malade. Et ça, je ne me le pardonnerai jamais. Je voulais juste t'aider. Je me mordillai la lèvre inférieure. Désolé. C'est pas ta faute, t'en fais pas. C'est mon problème, ça ne te concerne pas, ne t'inquiète pas pour ça. Je vais bien. Parfaitement bien. Tu peux pas habiter dans ce quartier Az, c'est pas sûr. Tôt ou tard, un autre connard te prendra pour moi. Ils sont pas tous des Lopez, tu sais. Ca, je le savais très bien. C'était arrivé ce soir, et j'avais déjà vu plusieurs regards agressifs ou effrayés sur mon passage. Au début je ne comprenais pas pourquoi, puis la réponse m'a paru évidente. Je sais, je sais. Sauf que tu sembles oublier qu'on a pas tous tes moyens financiers, soupirai-je. Forcément, lui, il pouvait même vivre à Kitsilano s'il le voulait. Tueur à gages, c'est le bon plan pour gagner de l'argent. Même en vivant ici, j'ai parfois du mal à finir le mois. Sans plein temps c'est la galère de payer un appartement, les factures, et autres dépenses. Ce n'était pas les cours que je donnais qui allaient payer tout ça. En revanche, j'avais eu une excellente idée le jour où j'ai commencé à faire de la cartomancie. Ça, ça payait bien. Pas autant que tueur à gages, mais c'était déjà ça. C'est loin chez toi ? On passe prendre quelques affaires et on un prend taxi pour chez moi. Je suis à quelques rues. Je rentrais quand l'autre m'a pris pour toi. Loeiz avait peut-être raison, il faudrait que je pense à changer de quartier. Avec quel argent, ça, j'en savais rien. Peut-être avec celui de mon shit. Ouais mais nan, j'avais besoin de mon anxiolytique. Encore plus ici qu'à Marseille. C'est par là, dis-je en commençant à marcher. Quelques minutes plus tard, on arriva chez moi. J'appréhendai un peu de voir l'état de mon appart en ouvrant la porte. Le couloir ça allait, en même temps, quand je travaillais chez moi, fallait bien faire bonne impression. Par contre, le salon... Bon ben, c'était pire qu'un champ de guerre. Je suppose. Moi j'avais l'habitude, j'aimais vivre dans le désordre. Et puis, c'était pas du désordre, mais du désordre ordonné. Je savais où était chacune de mes affaire. Enfin, presque. En tous cas, on pouvait marcher sans problèmes, donc c'était le plus important. L'odeur d'encens flottant dans l'air me faisait vraiment me sentir chez moi. Tout comme ma musique qui était toujours en fond sonore. Piece of my heart de Janis Joplin. Tu veux que je prenne quoi comme affaires ?, demandai-je en allant ranger discrètement mon sachet d'herbe dans un tiroir. Faudrait vraiment que je pense à arrêter de laisser traîner mes affaires partout.

Ce n'est pas ma faute et c'est la faute de qui en fait ? Pourquoi il a eu ce mouvent de recul plus que suspect ? T'arrives pas à te l'expliquer. Et sa réponse évasive ne te rassure pas, bien au contraire. Tu relègues la question dans ton esprit en te promettant de lui redemander un de ces jours. Ou ce soir même, quand vous serez chez toi. Tu l'écoutes t'expliquer sa situation financière et tu t'étonnes. Tu te demandes pourquoi tu n'y avais pas pensé. Il n'est pas un malfrat comme toi. Et était encore étudiant quand Lopez l'a tué. Alors forcément, à moins qu'un miracle ne se soit passé entre temps, il ne doit pas exercer un métier fameux. Il vit dans le Nord et il ne parviens même pas à payer correctement son loyer. Tu hésites entre le serrer dans tes bras ou l'engueuler à mort. Tu étais là, bordel ! S'il dit être venu ici pour te retrouver, qu'est-ce qu'il attendait ? Tu n'es pourtant pas si difficile à trouver, si ? Tu te forces à te calmer et préfères le suivre pour aller voir de tes propres yeux où il habite. Et c'est de la merde. Tu comprends pas comment un homme, non, ton propre frère peut vivre dans ce taudis. Le salon est dans un désordre sans nom. Tu l'as connu plus ordonné, ton Az. Ok, le rangement n'a jamais été son point fort mais quand même. Il y a une bizarre odeur d'encens dans l'air. Qu'est-ce qu'il fout avec de l'encens, nom de Dieu ? Tes yeux affûtés de tueur le voient cacher quelque chose dans un tiroir. Il va continuer à te cacher des choses encore longtemps ?  La seule chose qui a l'air "normal" dans ce cachot, c'est la musique en fond sonore. Là au moins, tu le reconnais. A sa question, tu le regardes, l'étonnement de découvrir l'endroit où il vit dans ton regard. Tu jettes un coup d’œil circulaire dans la pièce. Tu sais quoi ? Prends tout ce que tu peux. On repassera prendre le reste demain ou... tu soulèves un truc sur lequel tu viens de marcher et tu le relaisses tomber d'un air dégoûté. ... ou jamais. Contactes ton propriétaire et dis-lui que tu déménages. Il est hors de question que tu vives dans ça une minute de plus. Inconcevable. Impensable. Pas tant que tu es en vie. Tu sors ton téléphone et t'appelles un taxi. Cette situation te paraît irréaliste. Qu'est-ce que tu fais dans la vie, Az ? La question t'a un peu échappé malgré toi. Tu as juste envie de comprendre comment il a pu en arriver là. Il avait tellement d'ambitions avant. Le seul qui avait un réel avenir devant lui. Il avait des rêves. Et là, c'est comme s'il les avait tous perdus. Il a l'air tellement différent. Éteint. Et tu ne peux pas t'empêcher de penser que tout ça c'est de ta faute. En quelque sorte, c'est toi qui l'a tué. Tu te sens tellement coupable sur le coup que tu pourrais éclater en sanglots. Le klaxon du taxi t'empêche de piquer une crise. C'est bon, t'en as assez pris, on y va. lui dis-tu, très pressé de quitter cet endroit qui ne te rappelle que le malheur de ton frère.

Tu sais quoi ? Prends tout ce que tu peux. On repassera prendre le reste demain ou... Il s'interrompit, je tournai la tête vers lui et le vit lâcher le livre sur lequel il venait de marcher. Ouaip, il faudrait peut-être que je pense à ranger. Au moins un peu. Les quelques livres qui traînaient un peu partout. Mais en même temps, c'est pas comme si j'avais assez de place pour tous les ranger ! ... ou jamais. Contactes ton propriétaire et dis-lui que tu déménages. Il est hors de question que tu vives dans ça une minute de plus. Hein ? J'attendis qu'il raccroche pour continuer. Non mais je suis très bien ici, tu sais. Au début ça me faisait bizarre de ne pas avoir d'agitation en permanence comme à Marseille, mais j'avais fini par m'habituer et même réussir à apprécier ce calme permanent. Et au moins personne ne se plaignait de l'odeur de l'encens. Malgré tout, je commençai à réunir les quelques affaires auxquelles je tenais puis celles qui m'étaient indispensables. Qu'est-ce que tu fais dans la vie, Az ? J'hésitai quelques instants avant de répondre. Euh, j'ai fais pas mal de job étudiants. Là, je fais de l'animation en planétarium, c'est ce qui se rapproche le plus de mon master. Et puis je donne des cours de sciences et maths quand je trouve des clients. Je continuai de prendre quelques affaires. Et de la voyance. Ça rapporte pas mal. C'est sûr que quand tu as les capacités nécessaires, tu fidélises rapidement ta clientèle. Un klaxon retentit, fort, au point que je sursautes. C'est bon, t'en as assez pris, on y va. J'attrapai mon sac et le suivit à l'extérieur. Je le laissai monter à l'arrière du taxi en premier puis m'installai à côté de lui. Et toi, tu... fais toujours la même chose, je suppose...? J'osai espérer qu'il s'était trouvé un métier moins dangereux, mais je n'y croyais pas. J'avais aussi envie de lui demander s'il avait retrouvé Billy, mais mon intuition me disait que ce n'était pas le cas et qu'elle allait le détester de s'être fait passé pour moi. Mais bon, peut-être que je me trompais. Je l'espérais. J'espérais que tout allait redevenir comme avant quand ils se retrouveront.

Ouais, c'est ça. Très bien ici, mon oeil ouais, penses-tu pour toi même. De toutes façons, tu n'insisteras pas. Pas ici, ni maintenant. Une fois qu'il aura traversé le seuil de ton appartement, tu trouveras le moyen de l'y garder pour toujours. En tout cas, assez longtemps pour qu'il puisse se payer autre chose qu'un trou à rat. Quand tu lui demandes ce qu'il fait, tu t'attendais pas à du fameux. Mais la dernière réponse te surprend plus. De la voyance ? Sérieusement ? C'était du n'importe quoi. Un grand n'importe quoi. Ton frère était parti pour être astronaute... ou un truc du genre. Et aujourd'hui, il prédit l'avenir pour de l'argent. La vie a une stupéfiante manière de changer nos plans et de nous réserver des surprises qui ne sont pas toujours bonnes. Ouais... toujours, réponds-tu en détournant le regard quand dans le taxi, il te demande si tu fais toujours la même chose. Tu ne vois pas pourquoi tu changerais de métier. A une époque, tu y as songé. Quand il s'est fait tué. Du moins, quand il a simulé s'être fait tué. Tu te culpabilisais tellement que tu voulais tout laisser tomber, plaquer ton boulot de merde et te ranger avant qu'un autre de tes proches se fasse liquider à cause de toi. Mais ton besoin de vengeance a vite pris le pas sur cette décision. Tu ne peux pas ranger les armes si tu veux avoir la peau de Lopez. Et tu aimes trop le luxe et le pouvoir que te confèrent l'argent que tu gagnes. Tu ne peux pas laisser tomber pour devenir un simple pseudo réalisateur qui veut se faire connaître. T'as besoin du goût du risque, du danger, de l'adrénaline que tout ça t'apporte. Et du as besoin de tes relations dans le monde de la nuit pour garder un œil sur Billy. Ta femme... En bref, ce n'est pas demain la veille que tu arrêteras d'être un criminel. Que ça lui plaise ou non, à Edouard. Le taxi s'arrête et tu payes avant de descendre. L'immeuble dans lequel tu vis est l'un des plus luxueux du quartier et ton appart est un pur trésor. L'ascenseur vous dépose à l'étage et une fois à l'intérieur, tu ne peux t'empêcher de te regarder un moment dans l'énorme miroir posé à l'entrée. Tu as l'impression d'avoir changé depuis tout à l'heure quand t'étais sorti. Tu regardes ton frère qui a l'air d'admirer l'intérieur. Fais comme chez toi, Az, dis-tu sur un ton jovial avant de retirer tes chaussures et te laisser tomber dans le grand canapé du salon principal, jetant ton arme sur la table basse. T'avais besoin d'une pause. La soirée avait été mouvementée.

De la voyance ? Sérieusement ? Sa réponse ne me surprit pas. Je ne savais pas s'il me croyait ou non quand je me disais capable de prédire l'avenir ou son étonnement était dû au fait que j'en étais arrivé à me faire payer pour ça pour pouvoir vivre. Peut-être les deux. Ouaip. C'est moins bien qu'astronome ou astronaute, mais je n'ai pas le choix... Je ne savais pas si je continuais réellement d'espérer faire l'un de mes métiers de rêves... Ma vie, celle de Loeiz et celles du reste de la famille avaient été détruite. En une soirée. J'avais fait ce que je pouvais pour limiter la casse, mais j'avais du mal à imaginer comment la situation aurait pu être pire. Pendant le trajet jusqu'à chez lui, je lui demandai si lui était toujours dans le même domaine. Affirmatif. Rien de surprenant, malheureusement. Je n'osais même pas imaginer l'état dans lequel je serais s'il se faisait tuer. J'aurais perdu la personne comptant le plus pour moi, encore une fois. Et la seule famille qui me restait. Arrivés à destination, je ne pus m'empêcher d'observer les yeux écarquillés le luxe environnant. C'était à mille lieues du Nord. Surtout que j'étais dans l'un des pires quartiers du Nord. Là... j'étais sûrement dans l'un des quartiers les plus riches de... de je ne savais pas où. Je crois que quand Loe a donné l'adresse, il a parlé du quartier Sud. Une fois chez lui, j'en eus la bouche bée. Fais comme chez toi, Az. Je n'avais pas attendu son autorisation pour avancer dans le salon. Oh mon Dieu, mais c'était encore plus luxueux que chez Billy. Ce blanc, beige, marron, c'était super beau en plus. Ça sentait l'argent à plein nez. Il devait en falloir des dollars pour pouvoir se payer ça. En plus, il avait sûrement la voiture qui allait avec. En le voyant sur le canapé, je commençai à sortir de ma contemplation pour revenir à la réalité. Et je me souvins de ce qu'il avait dit. Faire comme chez moi ? Avec graaand plaisir. Un sourire sur les lèvres, je partis chercher un morceau de papier alu dans la cuisine, le posai sur la table basse et mis dessus la briquette de charbon que j'avais mis dans ma poche, versai un sachet d'encens de bois de santal et allumai la poudre, humant la bonne odeur qui se dégageait et que Loeiz, Malo, mes sœurs et ma mère n'aimaient pas du tout. Fallait pas me dire de faire comme chez moi., lui reprochai-je en riant. Si ça te dérange vraiment tu me le dis et j'éteins, dis-je en retirant à mon tour mes chaussures. J'admirai de nouveau l'appartement. C'est bien rangé... Comment c'est possible d'être si ordonné ? Vraiment, je ne savais pas. Moi, même quand je rangeais, en un jour c'était de nouveau un champ de bataille. Le style de déco y était peut-être pour quelque chose, mais quand même...

Tu savais que ton appart allait le laisser sur le cul. T'étais resté scotché toi aussi quand tu l'as visité pour la première fois, scotché par ce luxe, cette perfection. La grandeur, les couleurs, les baies vitrées, la vue sur la ville... tout était parfait. Tu en étais directement tombé amoureux. Il te coûtait une petite fortune mais rien que tu ne puisses te payer. C'est ton nid, tu y invites peu de gens. Laissant ton frère s'extasier sur le décor, tu te couches dans le canapé et pousses un long soupir. Dieu, ça faisait du bien. Tu le sens se diriger vers la cuisine. Tu supposes qu'il a faim mais apparemment ce n'était pas le cas puisqu'il revient avec du papier alu. Tu te demandes ce qu'il mijote jusqu'à ce que tu le vois sortir son charbon de sa poche. Oh misère, il n'allait pas te refaire le coup de l'encens. Il y a toujours été accro et t'a toujours détesté, une autre des millions de choses que vous n'avez pas en communs. L'odeur s'élève bientôt et tu grimaces. Pitié..., gémis-tu en te pinçant les narines. Tu l'entends alors se marrer en disant que fallait pas l'inviter à faire comme chez lui. Ah eh bien considère toi en invité et enlève ton poison de ma table basse, rétorques-tu, te marrant également. Non c'est bon. Je m'étais habitué dans le temps, ça reviendra je pense, réponds-tu un peu plus sérieusement ensuite. T'as envie qu'il se sente chez lui. Qu'il se sente à l'aise pour y faire ce qu'il veut. Tu fixes le plafond. Ça faisait des années que tu n'avais pas ri aussi naturellement avec quelqu'un. Tout est tellement plus simple quand Az est là. Tu te sens revivre. Comme si une part de toi était perdue et que tu venais juste de le retrouver. Le lien qui vous unit est si fusionnel. Normal que tu te sois senti perdu ces deux dernières années. Il te parle du rangement de l'appart et tu te lèves un instant, jetant un regard panoramique comme si toi aussi tu la découvrais pour la première fois, puis tu te recouches. Si ça ne tenait qu'à moi, ce serait un bordel pire que le tien, tu sais combien je suis bordélique, réponds-tu en te marrant encore. C'est la femme de ménage des voisins qui vient faire tout le rangement. Comme ses patrons ne sont pratiquement jamais là, j'en profite. Tu serais perdu sans Leila, elle s'occupait de tout, même de tes repas. Bien entendu, tu la payais grassement en retour. Ton ventre grogne quand tu penses nourriture. T'avais pas dîné, tu ne pensais pas rentrer aussi tard. Il fallait que tu manges. Tu te lèves. Vais chauffer quelque chose à manger. Tu devrais en profiter pour choisir une chambre et nettoyer ce sang, dis-tu en te dirigeant vers la cuisine. Puis tu te rappelles de ce qui s'est passé plus tôt. Au fait, cries tu, pourquoi t'as eu ce mouvement de recul tout à l'heure quand j'ai essayé de te nettoyer le nez ? Tu avais trouvé ça pas normal et t'étais promis de lui poser la question dès que l'occasion se présenterait.

Ah eh bien considère toi en invité et enlève ton poison de ma table basse. J'éclatai de rire en l'entendant parler de poison. T'es sûr ? À ma connaissance, personne n'avait déjà empoisonné quelqu'un avec de l'encens, mais sait-on jamais... N'importe quoi, pensai-je en souriant. Non c'est bon. Je m'étais habitué dans le temps, ça reviendra je pense. Il avait mis des mois, presque un an à s'habituer à l'odeur. Surtout que ce n'était pas toujours le même encens. Je replongeai dans l'observation de cet immense appart et du rangement parfait. C'était tellement bien rangé que c'en était de la magie. Comment est-ce qu'il faisait pour réussir à garder cet ordre ? Si ça ne tenait qu'à moi, ce serait un bordel pire que le tien, tu sais combien je suis bordélique, réponds-tu en te marrant encore. C'est la femme de ménage des voisins qui vient faire tout le rangement. Comme ses patrons ne sont pratiquement jamais là, j'en profite... Aaah d'accord... Ça explique tout. Ah mais moi, même avec une femme de ménage ça serait de nouveau la Syrie chez moi avant la fin de la journée. Ca serait une dépense inutile. Il se leva, partant vers la cuisine. Vais chauffer quelque chose à manger. Tu devrais en profiter pour choisir une chambre et nettoyer ce sang. Je ris à nouveau. Dommage qu'Hyo-Rin ne soit pas là pour te faire à manger, hein ?, plaisantai-je. La dernière fois que je lui avais parlé, elle voulait partir en fac de langues. Elle aurait mieux fait de faire du commerce, vu comment elle réussissait à se faire de l'argent à chaque fois qu'on lui demandait un service. Comme ranger ma chambre. Chose que je lui demandais que quand j'étais envahi par le bazar, vu que je préférais garder mon argent. Je me levai à mon tour pour partir à la recherche de la salle de bains. Au fait, pourquoi t'as eu ce mouvement de recul tout à l'heure quand j'ai essayé de te nettoyer le nez ? Je me figeai sur place. Merde. Comment ça se fait qu'il s'était souvenu d'un détail si insignifiant ? Je mis quelques temps avant de réussir à répondre quelque chose. Euh, j'en sais rien. J'me souviens même pas., répondis-je avant de commencer à ouvrir les portes pour trouver la salle de bains. Une fois chose faite, j'ouvris le robinet et commençai à nettoyer le sang, remarquant que j'avais l'air plus pâle que d'habitude. C'était sûrement à cause de sa question. Personne ne savait, et c'était très bien comme ça. Tout le monde a fait des erreurs de jeunesse, et pour certains elles étaient plus graves que d'autres. Un fois tout risque de contamination parti, au bout de dix minutes de nettoyage intensif, je revins dans le salon et me laissai tomber dans le canapé. T'as fait quoi à mangeeer ? Je commençai à avoir faim, moi aussi.

Tu peux pas savoir combien sa cuisine me manque. Mais c'est pas mon porte feuille qui va s'en plaindre, réponds-tu en te marrant. Elle te manque, ta petite sœur d'amour. Vous étiez si proches, elle et toi. Penser à elle te fait toujours mal alors, t'évites le plus possible de le faire. Ce qui t'emmène à te rappeler de l'attitude plus que bizarre de Az, tout à l'heure. Et quand tu lui demandes, sa réaction est encore plus que bizarre. Il met plusieurs secondes avant de te dire qu'il ne s'en souvient pas. Faut pas être Einstein pour savoir qu'il ment. Il ment trop mal. Une fois de plus, tu décides de ne pas insister pour le moment. Tu es fatigué. Affamé. Vous venez de vous retrouver et même s'il y avait un million de choses à raconter, l'important pour le moment c'est manger et dormir. Il y aura demain et tout le reste de la vie pour parler. Tu ouvres le frigo et regarde un peu ce qu'il y a. Tu voudrais bien un burger fait maison. Ou une pizza. Ouais, il est tard et alors ? On s'en fout de l'heure, l'important c'est de manger. T'entends ton frère crier alors que t'es toujours devant le frigo, n'arrivant pas à te décider. J'en sais rien ! Tu veux quoi toi ? Malbouffe ou riz avec poulet au curry ? Emmène-toi au fait, il y a pleins d'autres choses dans le frigo ! Tu sors une pizza peperonni et t'allumes le four. Leila te faisait toujours la cuisine pour dix. Résultat, il y avait toujours de la nourriture pré-chauffable chez toi. Micro-onde ou four pendant quelques minutes et paf, t'avais de quoi manger. Pendant que t'envoie la pizza au four, ton frère te rejoins. Alors, tu prends quoi ? lui demandes-tu alors qu'il fourrait sa tête dans le frigo à son tour. Tu sors des verres et te serre du vin. Puis tu te hisses sur la banquette de la cuisine, sirotant ton breuvage. Tu observes ton frère, te demandant ce qu'il peut bien être en train de te cacher. Ça devrait être assez gros, s'il ne voulait même pas t'en parler à toi. Vous avez toujours tout partagé. Tu es inquiet, t'imaginant les pires scénarios. Tu espères seulement que ce n'est pas aussi grave que tu l'imagines. Rien que tu ne puisses gérer.