Karuli - happy misfortune

Depuis mon arrivé à Vancouver, j'avais plusieurs fois entendu que le quartier Nord en pleine nuit, t'avais intérêt à être discret et rapide à rentrer chez toi si tu voulais justement rentrer chez toi. À chaque fois, ceux qui disaient ça ne vivaient même pas dans le quartier, du coup j'avais rien trouvé de mieux à faire que de partir faire un tour, juste pour voir. Autant dire que je regrettais. Il était deux heures du mat', à cette heure-là je dormais depuis longtemps. Et en plus j'avais un mauvais pressentiment. Je m'allumai une cigarette histoire de déstresser un peu et continuai d'avancer dans ces rues que j'arpentais régulièrement, mais que je ne reconnaissais pourtant pas. Je sentais des regards me dévisager d'un air mauvais, mais je les ignorais. De toutes façons, je savais me défendre.  À un moment, j'entendis des pas derrière moi. Je fis quelques mètres puis m'arrêtai, pour voir si j'étais bel et bien suivi. Les pas s'arrêtèrent. Je me retournai, et toisai l'homme d'un regard supérieur. Qu'est-ce que tu m'veux?, lançai-je. Ta peau, Minaho ! Et merde. Il m'avait pris pour quelqu'un d'autre. Quand je dis que mon intuition a toujours raison ! Il sortit son arme. Sans réfléchir davantage, je lui bondis dessus et lui lança mon poing dans le visage, avant de l'attraper derrière la tête et de lui écraser le nez sur mon genou. J'vais te défoncer, tu vas regretter le jour où t'es né ! Je rattrapai l'arme qu'il avait laissée tomber et la fourrai dans la poche de mon jean avant de le cogner de nouveau. J'avais clairement l'avantage et avait pleinement confiance en le KO. Je baissai ma garde, et me pris un coup dans le nez, suffisamment fort pour le faire saigner. Tu vas me le payer, connard, on ne me touche pas !, sifflai-je entre mes dents avant de lui mettre mon poing dans l'estomac suffisamment fort pour le faire reculer.

D'une main de fer, tu arrêtes l'homme qui reculait après s'être pris un coup bien envoyé dans l'estomac. Tu le soulèves par les cheveux avant de lui asséner un violent coup en pleine gueule ce qui le met directement un genou à terre. Tu n'attends pas qu'il récupère et tu lui en balances une autre avec ton pied avant de le laisser tomber, le visage dégoulinant de sang. TJ. T'en étais sûr, tu l'aurais reconnu même dans la plus profonde des obscurités avec sa manière si pathétique de se battre. Une grande gueule, mais rien derrière. Tu as eu à faire avec lui des mois auparavant. Tu devais lui vendre de la cam, une grande quantité de poudre blanche. Mais l'heure de la transaction, il avait voulu t'escroquer, prétextant que ta cam n'était pas bonne et qu'il n'allait pas pouvoir te payer la somme qui était convenu. T'as horreur qu'on te trompe. Qu'on cherche à te berner, tu ne supportes pas. Alors tu as dégainé ton arme et tu as planté directement une balle entre les deux yeux de son homme de main. Ton regard était froid, toute humanité avait déserté tes yeux noircis par la colère. T'as alors sorti un mouchoir blanc de ta poche pour essuyer ton arme avant de reprendre la clé qui devait mener TJ à la planque de la drogue. Il avait bien compris que s'il faisait un geste, tu le tuerais aussi sans la moindre hésitation. Il sait qu'il n'a aucune chance contre toi. Depuis, il n'a cessé de te traquer. T'as entendu dire qu'il te cherchait. Ce soir, t'étais venu dans la zone exprès pour le rencontrer. Régler cette histoire une bonne fois pour toute. Mais tu ne l'avais pas vu à sa planque habituelle. T'avais donc décidé de l'attendre quand les cris d'une bagarre plus ploin avaient attiré ton attention. Tu t'étais approché tout doucement, essayant de deviner à travers l'obscurité ce qui se passait. Puis t'avais aperçu la silhouette de TJ. Tu le rattrapa alors que l'autre homme auquel tu ne prêtais aucune attention venait de lui asséner un coup dans l'estomac.

Tu t'approches de lui et soulève sa tête avant de lui murmurer quelques mots à l'oreille. Tu le laisses en vie. Une fois encore. La troisième fois, tu ne le louperas pas. Frappant durement sa tête contre le bitume, tu te soulèves et passes une main dans tes cheveux. T'es prêt à t'en aller. Puis ton regard se pose enfin sur l'homme ave qui se battait TJ. Tu ne l'aperçois pas réellement, l'ombre créée par la lumière du lampadaire cachant la moitié de son visage. Le quartier est dangereux la nuit. Vous avez eu de la chance cette fois. Tu te retournes déjà pour t'en aller quand après deux pas, tu t'arrêtes soudain. Ce visage... Tu avais beau ne pas clairement l'apercevoir mais... Tu te retournes. Il n'avait pas bougé, semblant te dévisager lui aussi. Tu t'approches de lui, tétanisé par la sensation qui montait en toi. Non, ce n'était pas possible. Ça ne pouvait pas être... Azrael. Tu as l'impression que tu vas tomber dans les pommes. Oui, tu as des hallucinations. Ça ne pouvait être que ça.

Alors que je m'apprêtai à agripper mon agresseur pour le mettre à terre avec une prise de judo, un homme sortit de l'ombre. Il sembla lui chuchoter quelque chose, puis lui claqua la tête par terre. J'eus envie de le relever pour continuer de me défouler, mais quelque chose m'en empêcha. Le visage de cet inconnu qui me semblait tellement familier. Il faisait sombre, pourtant j'avais l'impression de me voir dans un miroir. J'étais persuadé qu'il faisait partie de ces sept personnes nous ressemblant comme deux gouttes d'eau. Le quartier est dangereux la nuit. Vous avez eu de la chance cette fois. Cette voix... non, ce n'était pas possible... Il commença à partir, je voulais le rattraper, mais j'étais incapable de courir, troublé. Il se retourna. Il se rapprocha. Mon cœur s'accéléra au fur et à mesure de ses pas. C'était lui. Oh mon Dieu. Je commençai à stresser, encore plus qu'il y a une dizaine de minutes. Je sentais mes mains trembler sous le coup de l'émotion. Azrael. Non, ce n'était pas possible... Depuis le temps que j'attendais ce moment... Ca ne pouvait pas arriver maintenant, ce n'était vraiment pas possible... Je devais être en train de rêver, c'était la seule explication... Je plaquai mes mains contre le bas de mon visage, yeux écarquillés. J'avais sous-estimé le choc que le retrouver me ferait. Va doue... Loeiz... digarezit ac'hanon... Rien, ni geste ni mot, ne pourrait exprimer à quel point je m'en voulais de ne pas avoir pu lui dire que j'étais encore vivant...

Trad:

Tu étais incapable de respirer. T'essayais mais ça bloquait. Tu devrais être blanc comme un linge. T'as l'impression d'avoir vu un fantôme. Ton frère. Ton propre jumeau. Sensé être mort, tué par ce fumier de Lopez depuis plus d'un an. Il était là maintenant en face de toi, plus vivant que jamais. Qu'est-ce que t'as loupé ? T'essaies de remonter dans tes souvenirs, de comprendre ce qui s'est passé. Il n'y avait jamais eu de corps oui mais les tueurs font toujours le nettoyage derrière eux alors ça ne t'avais pas surpris. T'aurais été très loin d'imaginer que c'est parce qu'il avait réussi à s'en sortir. Vivant. Depuis tout ce temps. Ta famille a pleuré sa mort. Ou plutôt la tienne. Ta petite sœur a fait une dépression à cause de cette histoire. Ta femme a souffert le martyr. Personne n'est encore remis de ta mort jusqu'au aujourd'hui, toi le premier. Et pendant tout ce temps, lui il était vivant. Va doue... Loeiz... digarezit ac'hanon... Loeiz. Ça faisait longtemps que personne ne t'avais appeler ainsi. Une sourde colère monte en toi. Il a détruit toute la famille par son ignoble subterfuge et tout ce qu'il trouve à dire c'est désolé ?? Tu te retournes un moment, préférant t'en aller avant de le tuer pour de vrai. Mais à peine deux pas que la colère te fait retourner brusquement. Tu lui donnes un violent coup dans l'estomac et il se plie en deux. Si je m'écoutais en ce moment, je te tuerais pour de vrai, lui murmures-tu d'une voix sourde. Au-delà de la joie de le revoir, de savoir qu'il est en vie, de penser que tu n'avais pas tué ton frère par ta stupidité, les visages de Hyo-Rin et Billy s'imposent dans ton esprit. Elles ont souffert à cause de lui. Et tu n'es pas sûr que tu arriveras un jour à lui pardonner ça.

Il avait l'air en rage. Il commença à partir. Je me dis que vu l'état dans lequel il était avant que sa colère remonte, c'était peut-être mieux ainsi, qu'on fasse comme si que l'autre était mort. Sauf que je ne pouvais pas. Depuis ce foutu quinze juillet, il me manquait chaque seconde. Chaque millième de seconde qui passait, son absence me tuait. Et souvent, je souhaitais être mort pour de vrai et ne pas avoir à supporter le poids de la culpabilité. Il finit par se retourner de nouveau, je savais qu'il allait me frapper, j'aurai eu le temps d'esquiver, mais je le laissais faire. En cet instant, je me détestais comme je n'avais jamais haïs quelqu'un. Si je m'écoutais en ce moment, je te tuerais pour de vrai. Toujours plié en deux, me tenant l'estomac, je sentis mon nez recommencer à saigner, formant une flaque de sang à mes pieds. Vas-y, tue-moi, je t'en prie., dis-je en lui tendant l'arme de l'autre. Qui s'est sacrifié pour te sauver ? Moi. Qui s'est pris une balle dans le ventre et a souffert pendant des jours au point d'être incapable d'avoir conscience du temps qui passait ? Moi. Qui a abandonné ses études pour te retrouver et pouvoir rétablir la vérité ? Moi. Tu peux m'accuser de tout ce que tu veux. Je retenais difficilement mes larmes. Ma rage remonta et je me redressai d'un mouvement, ignorant la douleur. Mais qui est le responsable de tout ça, à cause du mensonge de qui Su Ji se retrouve hospitalisée à vie, qui s'est fait passé pour l'autre devant toute la famille, QUI ???, hurlais-je. J'avais envie de le défoncer, encore plus que l'autre de tout à l'heure. Enfin, non. Je n'avais pas envie de le frapper, j'avais juste envie de passer ma rage sur quelqu'un. Mon poing vint s'écraser violemment sur le mur. Jamais je n'avais pété un câble devant lui, jamais. J'avais toujours été calme et posé. Mais là, mes nerfs lâchaient. Non attends, je vais te faciliter le travail, rends-moi ça. Je récupérai l'arme que je lui avais mise dans les mains et la plaquai contre ma tempe, main sur la gâchette, essayant de calmer mes larmes. Les hommes n'ont pas le droit de pleurer.

Tu l'écoutes te rappeler tout ce qu'il a fait pour toi avec un sourire mauvais. Mais vas-y stp continues ! Tu voudrais un trophée peut-être pour tout ça ? Je ne t'ai rien demandé moi, au contraire, si tu te rappelles bien, j'ai insisté pour que t'y ailles pas, bordel ! Tu m'accuses moi d'être responsable de l'état de Su Ji ? Tu voulais que je fasse quoi, que je leur dise que leur fils prodige est mort à cause de moi, la brebis galeuse ? Tu es le préféré de tout le monde, toi le fils parfait sur qui toute la famille compte ! Comment tu penses qu'ils auraient réagi si c'est TA mort que j'avais annoncé hein ? Comment ?? J'ai fait ce que j'ai pu pour pas empirer le bazar que t'as laissé derrière toi  et tu oses m'en accuser ? T'as envie de buter quelqu'un. Tu sais pas ce qui t'enrage le plus, qu'il s'est fait passer pour mort ou qu'il ait appris tout ce que ses frères enduraient à cause de lui et qu'il ait pas levé le petit doigt pour arrêter leur souffrance. Qu'il a essayé de te retrouver et de rétablir la vérité ? T'es à Vancouver depuis septembre deux mille quinze, bordel ! Qu'es-ce qu'il attendait pour venir te voir ? La prochaine comète ? Tu le vois écraser son poing contre le mur et tu serres l'arme, te retenant de le frapper à nouveau. De vous deux, c'est toi qui a le droit de te mettre en colère. C'est toi qui a vécu derrière lui, qui a regardé votre famille mourir à petit feu, qui a perdu ton identité à cause de sa lâcheté. C'est toi qui te culpabilise depuis près de trois ans d'être responsable de la mort de ton frère. Quelque soit ce que lui il ait enduré, il n'a sûrement pas connu pire que toi. Alors sa colère, il pouvait se la garder. Tu t'apprêtes à tourner les talons quand il te retire l'arme des mains. Tu le regardes le plaquer contre sa tempe et poser la main sur la gâchette. Les larmes qu'il essaie de refouler remontent à tes propres yeux et tu ne fais rien pour les empêcher de couler. Tu n'es pas lui, t'as pas peur de montrer combien son geste te fait mal. Vas-y, fais-le. Si tu ne ressens plus le moindre amour pour ta famille, si tu n'en as rien à faire que ton petit frère te regarde te suicider sous ses yeux, tu peux le faire, lui dis-tu avec une voix enrouée qui peinait à sortir. Tu lui prendrais bien ce maudit flingue des mains mais t'as peur de faire un geste brusque qui pourrait signer la réelle mort de ton frère pour toujours. Alors t'attends, ton cœur en miettes tambourinant dans ta poitrine, ton visage ravagé par les larmes mais ton regard aussi froid que jamais, essayant de te persuader qu'il n'appuiera pas sur cette gâchette.

C'est ça, continue de m'accuser, moi qui ait tout fait pour toi. À chaque fois que tu avais besoin, peu importe ce que je faisais, je me débrouillais pour venir t'aider. Même pendant mes partiels. Je me suis retrouvé plusieurs fois en rattrapage à cause de lui. Je le défendais toujours, même quand notre mère avait des preuves qu'il était en tort, et le couvrait tout le temps. C'était de sa faute, c'était lui qui avait commencé à dealer puis à tuer, quand je l'avais appris, j'avais tout fait pour l'en empêcher, en vain. Hormis mes études, je ratais tout dans ma vie. J'avais détruit ma famille. Je voulais juste le laisser vivre, vu qu'il avait encore Billy, lui. Non attends, je vais te faciliter le travail, rends-moi ça. Yeux fermés, canon sur ma tempe, j'essayais de retenir mes larmes et de me calmer. Mais j'avais beau tenter de respirer lentement, ma main tremblait toujours. Mon corps entier tremblait toujours. Vas-y, fais-le. Si tu ne ressens plus le moindre amour pour ta famille, si tu n'en as rien à faire que ton petit frère te regarde te suicider sous ses yeux, tu peux le faire. Les larmes que j'avais réussi à contenir s'échappèrent. Cette voix murmurée... Non, c'était trop, je ne pouvais pas. Je ne pouvais pas supporter d'être le seul responsable de tout ça. Je revis ce que j'avais pressentis ce fameux jour. Je n'avais assisté à aucune de ces scènes, mais je savais très bien ce qu'il s'était passé. Ma mère détruite... Malo et Hyo-Rin choqués... Su Ji qui avait cessé de vivre, ne faisant que respirer... Sans parler de Billy et sa famille... Tout ça était de ma faute, de ma seule faute, et je ne pouvais rien faire pour réparer mes erreurs. Je n'osais même pas rouvrir les yeux, redoutant de voir son regard accusateur. De toutes façons... que ce soit aujourd'hui ou plus tard, je suis condamné à mourir autrement que de vieillesse..., murmurai-je. Ma main tremblait sur la gâchette. J'étais incapable d'appuyer dessus, encore moins devant lui. La solution m'apparut soudain. M'enfuir. Et régler tout ça pour de bon. Aussitôt pensé, je le fis, et courus jusqu'à trouver une ruelle isolée, où je pressais la gâchette. Rien ne se passa. Je vérifiai que la sécurité était bien ôtée. Puis qu'il restait des cartouches. PUTAIN !! De rage, je balançai le flingue vide sur le sol le plus fort possible, avant de me laisser tomber contre le mur. En regardant où il avait atterris, je le vis aux pieds de Loeiz. Lentement, je levai mon regard empli de larmes. En le voyant, ma gorge se serra. Je l'avais détruit encore un peu plus.

Ton corps est glacé. Plus que le froid, c'est le spectacle devant tes yeux qui te gèle. Ton frère est à deux doigts de se suicider. Lui qui d'habitude ne se laisse jamais dominer par ses émotions. Tu te demandes ce qui se passe. Ce que t'as dit ou fait pour qu'il en arrive là. Mais t'y arrives pas. T'es en colère. Tu as peur. Un simple geste et tout serait fini pour de bon. Il mourra pour de vrai et tu devras vivre le reste de ta misérable vie à te culpabiliser de l'avoir tué. Une fois de plus. Tu préfères encore qu'il reste en vie et que tu le détestes. Tu sais ce que c'est que de le savoir mort. Tu as assez enduré ça. Si tu dois encore repasser par là à nouveau, tu crèverais. Tu te demandes quoi dire, quoi faire. Peut-être profiter qu'il ait les yeux fermés pour lui arracher l'arme ? Et si la surprise lui faisait faire l'inévitable ? Non, ce n'était sûrement pas la bonne solution. Mais tu n'as pas le temps de penser à autre chose que le voilà qui se met à courir. Tu le poursuis, refusant de le laisser s'enfuir alors que vous veniez juste de vous retrouver. Tu es loin d'imaginer ce qu'il est allé faire. Quand tu l'entends lancer un juron de la manière la plus intense qu'il t'ai jamais été donné d'entendre, tu te demandes un instant s'il n'a pas perdu les boules. Puis le flingue atterris à tes pieds. Ouvert. Vide. Tu le regardes avec horreur, te rendant soudainement compte de ce qui vient de se passer. Il a essayé. Il a vraiment essayé de se tuer. Et c'est à un flingue vide que tu dois désormais la vie de ton jumeau. Si il y avait eu une seule balle... Tu le regardes, assis contre le mur, l'air totalement perdu. Qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça ? tu lui demandes, accablé. Qu'il ait essayé de se suicider. Alors que vous veniez à peine de vous retrouver. Alors que t'étais à quelques mètres de là. Il a beau être ton frère, ça ne lui donnait pas le droit de te faire subir pareil calvaire. Ou tu étais un monstre pire que tu ne l'imaginais, ou il avait complètement perdu la tête.

Qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça ? Ma gorge se serrait, je m'en voulais à mort. Je réalisais même pas ce que j'avais fait. J'aurais vraiment pu me tuer. À une balle près. J'avais eu un énorme coup de chance. Comment j'avais pu en arriver à ce stade ? J'étais l'aîné, j'étais censé montrer l'exemple... pourtant, à la moindre contrariété, je pétais un câble. Intérieurement, d'habitude. Je suppose que c'était la tension causée par toute cette histoire qui s'échappait. Genoux ramenés contre ma poitrine, tête posée dessus, j'essayais de comprendre. Un morceau de la réponse m'apparut. J'essayais toujours de rendre les gens heureux, de faire tout mon possible pour régler leurs problèmes. Sauf que je n'étais pas Dieu, je n'avais pas le pouvoir de changer la vie des gens. Et ça, je ne le supportais pas. J'avais voulu sauver Loeiz, à présent il me détestait. J'avais voulu terminer le travail de Lopez pour que mon frère puisse continuer sa vie comme il le faisait, mais je n'avais fait que le détruire un peu plus. Il fallait que je dise quelque chose. Mais quoi ? Je n'en savais rien, qu'est-ce qu'on était censé dire dans ce genre de situation ? Le jour où notre mère nous annonça que notre père s'était suicidé en prison me revint en mémoire. Elle le pensait coupable, mais pourtant elle était en larmes. C'est génétique les maladies mentales, paraît-il. Dans notre cas, je dirais plutôt que c'est notre famille qui a le don de se mettre dans des putains d'histoires de merde. Il aurait mieux fait de m'avoir tué, non...?, murmurai-je, tentant de faire cesser de couler ses larmes, sans réussir.

Tu le regardes, assis en boule, l'air égaré. Tu as beau être en colère, tu as beau lui en vouloir pour des millions de choses, tu ne peux pas concevoir le voir ainsi. C'est ton jumeau, une part de toi. S'il souffre, tu souffres aussi. Le choc de sa tentative de suicide ratée te reste en travers de ta gorge. Il te faudra du temps pour effacer ce schéma de ton esprit. Tu n'y arriveras peut-être jamais, tellement tu te sentais bouleversé. Mais il fallait arrêter de penser à toi pour penser un peu à lui. Il a toujours été là pour toi, dans toutes les situations possibles et inimaginables dans lesquelles tu as le hic de te fourrer, il ne t'a jamais lâché. Jusqu'à prendre ta mort à ta place. Ta fausse mort plutôt. Oui tu lui en veux. Mais tu ne peux pas laisser la rage effacer l'amour et la reconnaissance que tu éprouves pour ton frère. Il y a un temps pour tout. Le temps viendra de lui en vouloir. Pour le moment, tu devrais juste... tu ne sais même pas ce que tu es sensé faire en fait. C'est lui qui s'occupe de toi. Pas l'inverse. Te laissant glisser contre le mur à côté de lui, tu attends qu'il se relève. A sa question, tu le regardes un instant. Oui, il aurait dû, dis-tu, ironique. Vous êtes pathétiques tous les deux, assis dans une ruelle sombre à chialer comme des gosses. La honte que ce serait si un de tes hommes te voyaient dans cet état. Tu as une réputation à tenir. Et tu as un appart que tu rêves de rejoindre. Tu sors un mouchoir de ta poche pour lui essuyer doucement le visage. Tes mouchoirs te servent à nettoyer ton arme d'habitude. Essuyer des larmes avec sera un première. Quand tu as fini, tu le remets en poche et tu reposes ta tête contre le mur, évitant de le regarder. On a un million de choses à se dire, je suppose. On va chez qui ? Un million c'était encore peu. Mais tu n'as pas envie d'aborder les sujets trop épineux ce soir. Tu tiens seulement à dormir au même endroit que lui. Pour t'assurer qu'il ne fera plus de bêtises. Comme mourir pour de vrai. Ou s'enfuir.