Visite matinale et pas de tout repos - ft. Sparkles

Dix heures. J'étais prête pour démarrer les visites guidées du musée. Une collègue était déjà partie avec un groupe d'enfants, venus ici par le biais de leur école. J'étais soulagée de ne pas avoir à m'en charger. Ce n'est pas que je n'aimais pas les enfants, mais il était difficile de vraiment les intéresser. Ils n'étaient là que parce que la sortie était obligatoire, mais à leur jeune âge, je comprenais tout à fait que de la peinture et de la sculpture ne les passionnent pas. Sortie culturelle certes, mais une séance de cinéma aurait été selon moi plus adaptée. M'enfin, ça n'était pas mon domaine, alors je restais à ma place.

Lorsque je n'avais pas de visites, il m'arrivait d'aider à l'accueil ou de tout simplement surveiller qu'il n'y ait pas d'actes malveillants de fait au sein du musée. Pour le moment, j'étais à l'accueil. Un couple venait d'acheter deux billets. Ce fut au tour d'une jeune demoiselle, qui semblait vouloir une visite guidée. Avec le sourire, je me levais. « Bonjour ! Je suis Kira je serai chargée de la visite. Par quoi seriez-vous intéressée ? On peut démarrer la visite par la peinture dans l’ordre chronologique, et ainsi découvrir les impressionnistes en premier lieu. Mais si vous préférez aller dans le coin sculpture d'abord, aucun problème non plus ! » Cela me faisait bizarre de vouvoyer une femme qui semblait aussi jeune que moi, mais c'était la procédure.

Que je le veuille ou non, je ne puis me soustraire à ma visite au musée aujourd'hui. Plus qu'un plaisir, cela devenait une nécessité aussi bien sur le plan académique que professionnelle. Si le premier n'était pas encore urgent, ce n'était pas le cas de l'autre. J'avais un client qui voulait un tatouage assez particulier: un mélange de trois différents tableaux impressionnistes en un seul, j'avais le choix entre lesquels. Déjà que l'impressionnisme n'était pas ce que je préférais dans l'art, mais alors en mélanger trois relevait du quasi-impossible. Quand il a exposé son idée, j'étais genre: qu'est-ce qui a bien pu t'arriver dans ton enfance, putain ? Pourquoi c'est moi qui doit ramasser les pots cassés ? En clair, j'étais paumée. Mais j'avais aussi une furieuse envie de lui donner le tatouage de ses rêves ce qui m'a donc finalement décidée à faire un tour au musée. Chercher sur le net ne me suffisait pas, je voulais voir les œuvres de mes propres yeux, observer chaque détail, comprendre l'histoire du peintre et de son tableau, faire mes choix et les fusionner déjà dans ma tête. Après cette visite, il fallait que j'ai une idée précise de ce que j'allais tatouer demain.
C'est donc dans cette optique que j'ai débarqué ce matin, en espérant que le Musée expose ce que je recherche. A peine entrée, une certaine Kira déboulait déjà sur moi en me proposant une visite guidée. Ok meuf mais relax, j'aime pas qu'on m'agresse. Oook on se calme, chérie. Si vous ne me laissez pas en placer une, ça risque de ne pas le faire entre nous. J'attends un instant pour la jauger rapidement. Jolie, jeune, elle semble en connaître un rayon sur l'art et le musée. Professionnelle aussi, vu qu'elle me vouvoyait, chose que je détestais d'habitude mais qui là m'amusait. Mais Kira dégageait aussi une certaine naïveté que je pouvais sentir des kilomètres à la ronde. Une idée germa aussitôt dans mon esprit. Je vais bien m'amuser durant cette visite. Alors, moi c'est Sparkles, enchantée. Et j'aimerais voir tout ce que vous avez comme putain de tableau impressionniste ici. C'est pour un tatouage. La sculpture sera pour une autre fois. Voyons voir ce qu'elle a dans le ventre, cette jolie demoiselle.

HRP:

@Kira Rosebury

J’aimais bien les visites. Ca me permettait de sortir un peu de la routine que représentait l’accueil. Et puis, jusqu’ici j’étais toujours tombée sur des personnes agréables, passionnées d’art ou voulant tout découvrir. La jeune femme que j’avais accueillie présentait une couleur de cheveux originale, mais qui lui allait plutôt bien. Je l’avais saluée, récitant ma phrase d’accroche habituelle avant d’être interrompue. Oula, ça s’annonçait mal. « Euh… Pardon. » Répondis-je, sentant déjà le rouge me monter aux joues. Pourtant c’était mon rôle de l’accueillir comme il se devait non ? Elle aurait tout le temps de parler pendant la visite…

Elle se présentait sous un prénom tout aussi original que ses cheveux. Enfin, mon prénom n’étant pas très répandu non plus, je n’avais rien à dire. Je remarquais son vocabulaire assez grossier. Je n’avais jamais parlé comme ça, et en public je n’oserais jamais… « Très bien, allons y » Je lui fis un sourire et un signe afin qu’elle me suive. Elle était ici pour trouver l’inspiration pour un tatouage. Etrange… Ca ne me viendrait même pas à l’idée de mêler l’art aux tatouages. Je n’aimais pas les tatouages à vrai dire. Nous arrivions devant le premier tableau de l’exposition. « Voici ‘Impression, soleil levant’ de Claude Monet, qui date de 1872 » Je poursuivais en apportant un peu plus de précisions, priant pour ne pas qu'elle m'interrompe en disant que je parlais trop : « On remarque l’omniprésence des couleurs froides. Le soleil est un thème beaucoup repris par Monet. La nature c'est d'ailleurs le thème majeur des impressionnistes. »

HJ : je suis pas une experte en art, il est possible que je dise quelques conneries du coup xD  

Elle a l’air un peu déroutée par le fait que je lui dise d’y aller molo. Elle s’excuse. Mmmh, c’est bien ce que je pensais. Mais je ne pouvais pas encore me prononcer parce qu’après tout, elle était au boulot donc devrait à priori se mettre en quatre pour ses clients. Peut-être que cette douceur mêlée de fragilité que je remarque sont juste pour mieux remplir ses obligations ? Vous n’avez pas à vous excuser, c’est votre boulot de me mettre à l’aise. Mais tout débiter en même temps peut provoquer l’effet contraire. Essayez de vous en souvenir la prochaine fois. Mon ton est à la fois bienveillant et cassant, exprès. Cette fille avait quelque chose qui me plaisait, je ne saurai dire pourquoi. Peut-être cette beauté angélique ? Peut-être toute cette candeur qu’elle émane ? Elle avait l’air si fragile et si naïve que je ressentais presque comme une mission de l’endurcir un peu au cours de cette heure de visite. J’avais envie de la secouer et de lui dire réveille-toi, le monde là-dehors est rempli de requins, ou tu les bouffes ou tu te feras bouffer ! Mais bon, il ne fallait pas aller trop vite. Comme je l’ai dit, c’est peut-être tout simplement une facette spéciale boulot. Je la vois tiquer très légèrement dès que je prononce putainement, dit exprès d’ailleurs toujours dans le but de voir sa réaction. Et ça se remarque d’office qu’elle n’est apparemment pas habituée à ce langage grossier. Au xxie siècle, sérieux ? Je la suis et prête attention à ce qu’elle m’explique sur le soleil levant de Monet. Elle expose correctement le tableau. Une chose était sûre, c’est qu’elle était douée. Elle savait exactement de quoi elle parlait. J’aimais bien ce tableau pour l’avoir déjà eu en cours, mais sa manière de l’exposer donnait une toute autre dimension à l’œuvre. Mais au lieu de la complimenter sur son approche, je lui sors: Vous déconnez, j’espère ? Je ne vais pas tatouer cet énorme tas de peinture de mauvais goût sur la peau d’un homme à vie tout de même ! Ce truc ne ressemble à rien, on dirait un gros ramassis de couleurs bizzaroïdes et encore, je suis gentille. Je ne pensais pas du tout ce que je disais, naturellement. Monet était un excellent peintre et je pourrais rester des heures à écouter Kira me parler de ce tableau mais comme je l’ai dit… j’ai une mission à remplir. Montrez-moi d’autres choses. Je veux voir de l’art, du vrai.  A moins que votre galerie n’en contienne pas. J’insistais toujours sur le vouvoiement et sur  le ton légèrement cassant mais très basse à chaque fois. Il ne s’agissait pas de l’humilier devant tout le monde. Ce serait très méchant, surtout qu’elle assurait dans son boulot. Il fallait juste la pousser à bout, lui faire perdre tout doucement la tête.

Voilà qu’elle me donnait des conseils. J’essayais de ne pas trop montrer ma surprise ni mon malaise, mais tout de même… C’était le monde à l’envers ! Pour qui elle se prenait, à vouloir m’apprendre mon métier ? J’avais l’impression qu’elle voulait me rabaisser, et pourtant, j’avais saisi une minuscule note de bienveillance dans sa voix… Peut-être qu’au final, c’était un réel conseil qu’elle me donnait là? Je ne pouvais m’empêcher de ne voir que le meilleur chez les gens… « D’accord… » Avais-je répondu, timidement.

Puisqu’elle avait choisi de faire la visite chronologiquement, il m’avait paru tout à fait logique de lui présenter les impressionnistes et l’oeuvre phare du mouvement, « Impression, soleil levant. » J’étais quasiment certaine de mon coup, puisque ce tableau plaisait quasiment toujours et qu’en plus, elle semblait satisfaite de mon explication. J’étais bien loin de me douter de ce qui m’attendait. La descente aux enfers. Une peinture de mauvais gout ? Un ramassis de couleurs bizarroïdes ? Elle était bien la première à penser ça. Je respectais tout à fait cet avis, bien que je ne pus cacher ma stupeur en écarquillant les yeux. La suite de la visite s’annonçait mal. Elle savait que tous les impressionnistes s’étaient quasiment inspirés de cette oeuvre là? Quelle idée de compter sur moi pour lui dégoter son tatouage parmi ces oeuvres d’art ! « Je… » Je n’arrivais pas à ajouter quelque chose de plus, tellement j’étais sonnée par son commentaire.

Elle voulait voir de l’art, du vrai art. Elle ne se rendait absolument pas compte qu’il y en avait tout autour d’elle. Néanmoins, je me reprenais. Pas question qu’elle sorte d’ici avec un avis négatif. « On va aller du côté du mouvement dada. » Le Dada, c’est original, c’est décalé. Ca devrait lui plaire, du moins je l’espérais. On marchait un petit bout avant d’y arriver. Une fois arrivées dans cette partie du musée très colorée, j’osais lui demander : « Alors euh… Ca vous inspire plus? » Et je priais pour que la réponse soit positive.