Philae (+) if today was your last day

☽ Philae, c'est un peu l'enfant venue au moment qui ne fallait pas. Problèmes financiers, de boulots et de logement, pourtant ses parents ont jugé bon de ne pas faire avorter la femme. Apparemment ils allaient s'en sortir, comme toujours. Et c'était vrai, à la naissance de cette petite ils s'en sont bien sortis, y a eu des grosses galères mais en somme ils ont réussi à l'élever convenablement et lui offrir tout ce dont elle avait besoin. Elle n'a jamais manqué de rien et a toujours été reconnaissante envers eux pour ça, même si elle n'était pas la petite fille parfaite, elle avait ses bons côtés.
☽ Trop occupée à ronger son crayon, Philae regarde le tableau en essayant de comprendre le calcul qui s'effectue devant ses yeux, et définitivement... Elle n'y comprend rien. En plus le prof parle dix fois trop vite pour elle. C'est décidé, elle arrête de noter, ça l'énerve. Laissant tomber son crayon sur le bureau, elle soupire et croise les bras sur sa poitrine, regardant autour d'elle pour voir si elle est la seule à avoir abandonné et heureusement pour elle, non. Laissant un regard au garçon à l'autre bout de la classe, elle arque un sourcil avec un sourire en coin moqueur alors qu'il hausse les épaules, l'air de dire qu'il n'en n'avait rien à faire de toute façon. Un rire s'extirpe d'entre ses lèvres alors que la voix du professeur la ramène à la réalité. «Je vous dérange, mademoiselle Baugen ?» demande-t-il. «Absolument pas m'sieur, par contre votre cours... il est un peu plus dérangeant.» rétorque-t-elle avec un sourire qui lui vaut une note. C'était pas grave, de toute façon, c'était ni la première, ni la dernière. De là où elle est, la blonde peut entendre le rire du gars qui n'écoutait pas non plus et se retournant une dernière fois vers lui, elle sourit aussi. C'était que son rire était communicatif. Et soudain, elle se rappela de son prénom comme si c'était une évidence ; Chris. Au seul son de son sourire, elle en est tombée amoureuse à quatorze ans.
☽ Assise sur le pouf de sa chambre, concentrée sur son téléphone, écouteurs dans les oreilles mais la musique coupée, c'est seulement en entendant frapper à la fenêtre qu'elle relève la tête en fronçant les sourcils. La blonde partit ouvrir sa fenêtre et eut un sourire en voyant son petit-ami, sac à dos accroché aux épaules. Quoi ? Sac à dos ? Pourtant, ils n'avaient pas prévu de réviser aujourd'hui... Et c'est en voyant son air qu'elle comprend qu'il n'était pas là pour ça. «Viens avec moi», le supplie-t-elle. «Mais... Où est-ce que tu veux qu'on aille à seize ans, Chris ?» demande-t-elle avec un air perdue alors qu'il pince ses lèvres. «Partout ! On a toute une vie pour savoir où aller, Phi. Allez, viens... Tu sais que j'peux plus vivre sans toi...». Puis vient le silence de la réflexion. Alors, elle se bouge de sa fenêtre, vide son sac de cours pour y mettre des vêtements et retourne à la fenêtre pour dire à Chris qu'elle arrive. Et cinq minutes plus tard, voilà que la jeune Baugen fugue avec son petit-ami en plein milieu d'Amsterdam, attendant un bus vers une destination inconnue. Elle était persuadée que ça n'allait pas durer longtemps, qu'ils allaient rentrer, et c'était vrai, mais avant ils allaient profiter tout de même. Peut-être même qu'ils l'ont trop fait. Chris, c'était le gars qui avait les mains sales mais qui se ressaisissait toujours grâce à Philae, sauf ce soir-là. Ils étaient partis en soirée avec ses anciennes connaissances et pour une fois, elle n'a rien dit quand il s'est laissé aller.  Elle se sentait pas à sa place et osait à peine parler, le regard bien trop concentré sur un point invisible pour éviter les mauvais regards, les mauvais contacts. Et de loin, elle a vu que Chris défaillait. Accourant alors vers lui alors qu'il tombait et vomissait, les pupilles dilatées, elle a crié à l'aide, hurler, supplier qu'on vienne le sauver mais la réalité la frappa brutalement ; le monde s'en foutait. Son monde à elle s'écroulait, mais le vrai, ne perdait rien en le voyant mourir. Et pendant une heure, elle pleura la mort de son bien aimé avant d'entendre les sirènes des pompiers et de la police.
☽ La pire part d'un décès, c'est l'après. Quand on se rend compte qu'on est seul dans notre souffrance. Et dans le cas de Philae, c'était même pire ; ses parents la reniaient totalement, se sentant honteux de ce qui s'était passé lors de la fugue des deux amoureux. Les parents de Chris ? Ils étaient les pires. Si déjà la presse parlait de ce scandale, ils tenaient la jeune blonde responsable de tout, et elle, elle n'avait pas le courage de se défendre. Évidemment qu'elle se sentait coupable de tout, mais la vision de son corps sans vie la hantait alors qu'elle pleurait dessus, priait pour qu'il revienne. Mais aucune prière, aucun cri, aucune supplication ne le ramena. Plongée dans un profond mutisme, elle survivait ; mangeait et buvait le nécessaire, faisait office de présence mais ne répondait plus de rien. Et parfois, en plein milieu d'un cours, elle avait l'impression de le revoir à sa place habituelle, lui faire un clin d'œil avant de lui montrer une couillonnade pour la faire rire, mais la seconde d'après il n'était plus là, et elle fondait en larmes. Alors que pour quelques instants le vide qui s'était formé en elle arrêtait d'exister, il revenait à la charge, s'agrandissant, et elle se mettait à hurler que ça faisait trop mal.
☽ En vue de ses conditions mentales et de son harcèlement scolaire, ses parents l'ont envoyée vivre dans de la famille à Vancouver.  De là, elle a passé quelques semaines à l'hôpital en psychiatrie ouvert. Des jours d'observation avec une psychiatre pour en venir à la conclusion qu'elle était victime d'hallucinations qui pouvaient la pousser à des pulsions suicidaires ; un traitement à prendre chaque jour et elle n'aurait plus de problème. Pourtant, rien ne pouvait combler le vide qu'il avait laissé, ni les médocs, ni les drogues. Même sous l'emprise de substances illicites, elle se souvenait parfaitement bien de son sourire, et de son rire, de ses lèvres sur les siennes... Elle l'a toujours dans la peau. Vivre dans un monde sans lui est trop dur mais pourtant elle le fait, pas par envie mais juste pour montrer qu'elle était toujours là. Puis, à Vancouver, personne ne sait pour elle, ses problèmes et la mort de Chris. Tout ce qu'ils savent c'est qu'elle a doublé une année et qu'elle vit chez son oncle et sa tante. Ça vaut peut-être mieux comme ça, avant que tout le monde ne commence à croire qu'elle est la Diable personnifié. Mais cette absence, elle la ressent si fort que c'en est devenu une présence.