(FINI) CHARYN • Explosion

Tu ouvres la porte, la tête un peu embrouillée. Il est sept heures du matin et t'es encore sortie toute la nuit. Un ami faisait la fête début de soirée de la veille. Puis vous avez fait un after ailleurs pour finir en boîte sur les coups de quatre heures du matin. T'as encore trop bu. Trop dansé. A la verticale et à l'horizontale. Tes longs cheveux bruns sont un peu emmêlés, ton collant est troué, tu as tes talons à la main en grande partie pour essayer de ne pas réveiller ta soeur aînée qui dort encore. Enfin tu l'espère, t'as pas envie de te prendre la tête avec elle. T'as b'soin d'une douche. Tu essayes d'être la plus discrète possible. Trempée, une serviette autour de la taille et les cheveux dégoulinants tu te diriges vers ta chambre. En te prenant une chaise au passage. - Merde ... chut ! tu lances à la chaise. Ouais ... il serait bon que tu dormes un peu. Mais en relevant la tête, tu aperçois Char' te fixant les bras croisés, l'humeur sombre. Heuuu ... bonjour ? T'es matinale aujourd'hui dis moi ?! tu tentes.  

Une autre nuit blanche à l'attendre. Encore. Tu pensais que c'était fini pourtant, après votre dernière discussion pour essayer de ramener un semblant de respect dans votre relation. On ne peut pas empêcher une jeune femme de 21 ans de se sentir libre, faire la fête avec ses copains... découcher, même si en réalité tout cela ne te plaisait guère. Tout ce que tu lui demandais, c'était te prévenir au moins, que t'arrêtes de te faire du mouron en te demandant à chaque fois si elle était encore en vie quelque part ou pas. Tu as déjà perdue une sœur et tu ne t'en es pas encore remise...

« Ouais, c'est cool, n'est-ce pas ? Je me suis dit que je n'arrivais rien à faire et pas boulot demain alors je vais juste rester debout toute la nuit à attendre ma chère petite sœur. C'est pas génial ? »

Tu t'étais promis pas de disputes. Tu te calme. Une respiration profonde. Vous pouviez régler ça sans vous disputer.

Tu lèves les yeux au ciel. Et voilà c'est reparti ! Bon dieu tu quittes une famille avec des règles et des limites pour retomber dans une autre. Merde vivre avec ta grande soeur était censé être génial, la liberté, le bonheur et au lieu de ça, jugement, limites, morale. Comme d'habitude. - Je ne t'ai jamais demandé de m'attendre Char' j'suis une adulte j'ai pas besoin d'être couvée ! tu rétorques. Tu vois qu'elle essaye de se calmer, de ne pas crier mais perso, t'es pas du même genre. Tu la dépasse à la volée pour aller t'habiller dans ta chambre. Tu sens que tu vas pas rester et tant pis pour ton sommeil. T'iras dormir chez Spark. Tu mets un jean moulant et sombre avec des trous. Un bustier rouge bordeaux dévoilant ton nombril et ton ventre plat. Et tu commences à brosser tes cheveux. Tu te tournes vers ta soeur qui t'a suivis. Lâche moi les basques Char' j'suis plus une enfant et t'es pas ma mère ! tu t'agaces. 

Pourquoi s'entêtait-elle à te faire souffrir autant ? Pourquoi faire systématiquement le contraire de tout ce que tu lui demandes ? Était-ce une sorte de punition ? Te détestait-elle pour ne pas l'avoir retrouvé plus tôt ? Ou peut-être même pour l'avoir retrouvé tout court ? Après tout, elle avait une belle famille avant. Elle était peut-être plus heureuse...

« Es-ce que ça t'arrive de te poser une minute pour réfléchir aux bêtises qui sortent de ta bouche ? Donc si je te suis bien, si moi je disparaissais toute une nuit sans te laisser aucune nouvelle et sans répondre à aucun de tes appels, tu ne t'inquiéterais pas ? Ça ne te ferait absolument rien ? »

Tu accuses le coup quand elle te sort que t'es pas sa mère. De mieux en mieux.

« Estimes-toi heureuse que je ne le sois pas. Parce que si maman était là, tu ne serais pas aussi dévergondée que tu l'es aujourd'hui. »

Maman avait beau être très douce, elle ne blaguait pas en ce qui concerne l'éducation de ses enfants. Staryn ne serait pas, mais alors pas du tout comme ça si elle avait grandi avec sa mère biologique.

« Tu ressors encore ? A peine rentrée ? Ryn, tu n'as même pas dormi ! »

Est-ce que ça lui arrivait d'être fatiguée au moins ??

Elle te pose une colle. Quand elle te balance ça, tu te figes. Non tu t'en fiches pas. Tu te fiches pas d'elle. C'est ta grande soeur et tu l'aimes, tu es tellement heureuse qu'elle t'ai trouvée, tellement heureuse de savoir enfin qui tu es. Tu n'aimes juste pas le fait qu'elle te fasses toujours la morale. - Bien sûr que je m'inquiéterais mais bon, tu as ta vie toi aussi et j'suis pas flic ! Tu encaisses violemment quand elle te sort que si maman était en vie, tu ne serais pas aussi dévergondée. Ca c'était petit ! Tu ne l'a jamais vraiment connue votre mère. - Ca reste à voir ! En même temps elle a préféré se suicider plutôt que de s'occuper de ses mômes alors c'est que doit y avoir un gêne dans la famille ! tu lances, venimeuse. Ouais t'es dure. En même temps ça t'es restée au travers de la gorge depuis que tu l'as appris. Quel genre de mère préfère se suicider et abandonner ses enfants que de se battre pour eux ?! Tu hausses les épaules quand elle te sors que tu n'a même pas dormi. - Et alors ? Si j'reste tu vas m'prendre la tête toute la journée j'le sens bien ! Tu soupires et tu la regarde. Ta pas envie que vous vous disputiez. Ca t'prend la tête. Tu l'aimes ta soeur. Tu passes près d'elle pour aller dans la cuisine. Un déca avec citron et cannelle ? tu lui proposes. Elle a une boisson bizarre tu l'a appris très rapidement. Mais tu tente un drapeau blanc pour éviter la dispute. Tu sais pas pourquoi, tu sens que ça marchera pas mais tu essayes quand même ! 

Tu le remarques très subtilement et tu apprécies énormément le fait que la question la fasse réfléchir quelques secondes. Elle a hésité. Ça te tellement plaisir. Peut-être que tout n'était pas perdu. Peut-être que quelque part au fond d'elle, elle tenait un peu à toi finalement.

« Je n'ai pas besoin d'être flic avant de m'inquiéter pour toi, Staryn. Tu es ma sœur. On est censées veillé l'une sur l'autre. »

Tu avais imaginé cette cohabitation tellement autrement que comparée à la réalité, cela te faisait presque souffrir physiquement.

« Un gène dont tu as hérité apparemment vu ta propension à l'auto-destruction. Pendant que tu y es, tu voudrais pas que je te passe une pilule, histoire que tu en finisses une bonne fois pour toutes ? »

Ça t'a cassé de la voir parler de votre mère comme ça. Tu avais beau penser tout bas comme Staryn, tu n'oserais quand même jamais l'avouer. Elle elle n'en avait peut-être pas mais toi, tu avais trop de beaux souvenirs avec maman. Et tu ne supportais pas l'idée qu'on parle mal d'elle. Pas de cette femme qui vous avais tant donné autrefois.

« Oui je veux bien. Mais ça sert à rien de m'appâter, je n'en ai pas encore fini avec toi. »

Tu essaies de le dire sur un ton dur mais tu souris malgré toi. Ces petits détails dont elle se rappelle et cette manière subtile qu'elle a de proposer une trêve, tout ça fait que tu l'aimes ta soeur. Et tu ne cesseras jamais de la protéger, envers et contre tout et même contre elle-même s'il le faut. Tu la suis dans la cuisine en balançant, taquine:

« C'est quand même étonnant que tu saches faire un café vu le temps impressionnant que tu passes loin d'une cuisine. »

Ouch. En d'autres circonstances elle se serait peut-être marrer, mais tu crois que tu as mal fait de sortir cette vanne maintenant.

Ton coeur se serre quand elle te dit ça et tu hésites, te figeant légèrement en enfilant ton pull en cachemire. Puis tu reprends comme si de rien était. Oui. Oui vous êtes soeurs, vous êtes censées veiller l'une sur l'autre. Char elle te protège, elle veille sur toi. Et toi non. T'es a sens unique. C'est pas cool pour ta soeur. Mais en fait t'as la trouille. T'as beaucoup donné à ta famille adoptive et ils t'ont laminées. T'as pas envie que ça recommence encore. C'est une sorte de protection pour toi. Tu allais lui dire quelque chose de gentil mais à ce moment là, elle te traite de dévergondée ayant une certaine propension pour l'autodestruction. - Ben non j'ai pas d'gosses, j'vais attendre d'en avoir avant de m'suicider comme une égoïste ! tu rétorques méchamment. Si ta soeur te collait une gifle à ce moment là, tu l'aurais pas volée. Et tu ne pourrais même pas le lui reprocher. C'était de la méchanceté pure et gratuite ça mais pour le coup, si tu n'en veux pas forcément à votre père, tu gardes énormément de rancoeur envers votre mère.

T'essayes quand même d'apaiser les choses. Tu lui proposes sa boisson bizarre que tu as retenu exprès pour pouvoir lui en faire. Ok t'es pas très cuisine, tu sais faire le café et les pâtes c'est pas trop mal déjà. Pas fini avec toi ... génial donc en gros, tu vas encore en prendre plein la gueule. Tu soupires et tu lui prépares son truc en même temps que tu te fais une énorme tasse de café. Tu sens que tu vas en avoir sacrément besoin. - C'est quand même étonnant que tu saches faire un café vu le temps impressionnant que tu passes loin d'une cuisine, qu'elle te balances. Et VLAM ! prends toi ça dans la tronche Staryn. Tu lui tend brusquement sa tasse. - Ben ouais ta raison ! Et tu sais quoi ? J'devrais même m'en éloigner, au cas où je ferais exploser le gaz tu vois ! tu railles en la bousculant au passage pour filer dans ta chambre. Non en fait tu sais quoi ? Tu fais volte face pour fixer ta soeur. En fait t'es exactement comme ma mère, comme tout le reste de ma famille adoptive ! Vous voulez tellement que je sois "parfaite", une bonne petite fille sage, bien éduquée, douce et souriante. MERDE A LA FIN ! tu hurles. J'suis plus une enfant qu'on surprotège de trop ! J'suis pas une pauvre petite chose qu'on manipule à sa guise ! Tous ! Vous êtes tous pareils ! Vous essayez tous de me transformer en la parfaite petite fille modèle ! C'est pas c'que j'suis alors foutez moi tous la paix ! Tu hurles et tu pleures un peu aussi. Merde, même ta soeur elle s'y met à vouloir te rendre "bien comme il faut".  

C'était une blague. Une simple blague. Et à un autre moment tu aurais rigolé toi aussi parce que ça aurait pu être drôle. T'es nulle en cuisine, d'habitude tu en rigole, tu te moques de toi même. Mais là, ce n'était pas le moment. Ca te fait exploser au point que tu en oublies ton café, un crime ! Mais t'es furieuse, ça bout en toi. En fait, c'est pas forcément tourné vers Chardonnay. Depuis que tu as appris, de manière assez violente reconnaissons le, que tu avais adopté tu es en colère. Tout le temps. Contre tout le monde. Tu n'arrives pas à te débarrasser de ce putain de sentiment qui te poursuit, te bouffe te l'intérieur et te pousse à emprunter la voie de l'autodestruction. Il n'y a que quand tu es saoûl ou en train de faire l'amour qu'elle te laisse un peu de répit. D'habitude, tu sais plus ou moins gérer mais Char a été trop loin. Toi aussi apparemment.

Pendant qu'elle te crie dessus, te balançant que tu agis comme une gamine pourrie gâtée, t'expliquant son propre vécu, tu te sens mal. Tu sais que tu agis de manière égoïste. Tu devrais préserver ton lien avec ta soeur, prendre soin d'elle, renouer, mais en ce moment la seule chose qui vous lient c'est un appartement et votre goût commun pour la mode. Et encore que pour ce dernier point le fait de l'aborder différemment vous sépare un peu plus. Elle parle des De Nouailles. Du fait que s'il t'ont adoptée et aimée ils t'ont aussi détruite et brisée. Tu peux pas le nier. T'étais bien avant. Mieux que ça. Moins cinglée. Moins paumée. Tu pleures. Elle a touché en plein dans le mille. T'es qu'une gosse en fin de compte. Une gamine brisée, paumée et fragile. T'as pas le droit de lui faire ça à ta soeur. Elle aussi elle en a bavé. Et c'est elle qui t'a récupéré quand t'étais en mille morceaux à cause de ta famille adoptive. C'est elle qui essaye chaque jour de recoller ces mêmes morceaux du mieux qu'elle peut. T'as pas le droit de lui faire subir tout ça, de la faire souffrir autant. Mais tu as tellement mal. Et tu es tellement, tellement en colère. Il faut que ça sorte. "On ne fait jamais autant de mal qu'à ceux qui nous aime parce qu'on sait que quoiqu'on fasse, ils nous pardonneront toujours." Tu ne sais pas qui a dit ça. Tu trouves la citation débile. On ne devrait pas faire du mal à ceux qu'on aime et qui nous le rende.

Char vint te prendre dans ses bras. Tu pleures. Ta envie de ce câlin et en même temps non. Tu penses pas le mériter. - J'suis pas une étoile Char' ... j'suis rien ... juste un pion qu'on peut se permettre de placer là où on veut. Une marionnette qu'on peut piéger, à qui on peut mentir et dicter sa vie en permanence ... C'est ce que les De Nouailles ont fait, tu t'en rends compte maintenant. Pourtant tu n'arrives pas à les lâcher. Dans ton esprit ils sont la seule famille que tu connais même si tu en as une autre aujourd'hui. J'mérite pas tout ça Char ... tu devrais pas t'inquiéter autant pour moi j'le mérite pas ... tu murmures. Puis tu relèves la tête vers elle. Ton doux visage est dévasté par les larmes. T'as l'air à bout. Epuisée physiquement à force de sortir toutes les nuits et de ne pas dormir. Epuisée mentalement par toute cette colère qui te ronge de l'intérieur. J'te préviendrai la prochaine fois c'est promis. Tu lui fais un pâle sourire puis tu te détaches d'elle. T'aurais aimé lui dire que tu l'aimes aussi mais t'en ai incapable. Pourtant dieu sait que tu l'aimes cette fille même si ça ne fait pas si longtemps que vous vous êtes retrouvées. Dans ta chambre, tu continues de préparer quelques affaires comme si tu comptais encore partir. Ce qui est le cas.  

A cet instant là, en la tenant dans tes bras comme ça, tu as envie de faire un retour en arrière. Jusqu'à ce maudit jour où cette maudite famille est venue la chercher à l'orphelinat. On t'avait laissé la garder quelques minutes pour lui dire au revoir. Si seulement tu savais ce qui l'attendait, si seulement tu avais prévu, tu ne les aurais jamais laissé emmener ta petite étoile. Jamais ils n'auraient porté un seul de leurs doigts sur elle. Mais qu'est-ce tu pouvais y faire. Tu avais six ans. Juste six petites pommes.

Tu l'écoutes s'exprimer. Tu pourrais l'interrompre, lui montrer les milles raisons pour laquelle tu pensais qu'elle avait faux. Mais non. Il fallait aussi la laisser s'exprimer parfois. Qu'elle sorte tout ce qu'elle a fond de son petit coeur meurtri. Ce n'est que comme ça que tu arriveras à la comprendre petit à petit. Que tu sauras comment t'y prendre avec elle. Une promesse qu'elle te préviendra la prochaine fois. Ce n'était pas grand chose mais c'était déjà énormément pour toi. Ça ne t'empêchera pas de te faire du sang d'encre pour elle mais au moins, tu sauras qu'elle va bien. Qu'elle est en vie.

« Merci chérie » dis-tu simplement.

Les tensions semblaient s'apaiser petit à petit. Il ne fallait rien dire de travers pour que ce petit instant de compréhension parte encore en cacahuètes. Elle se détache, tu la laisses à regrets, mais la suit quand dans sa chambre. Et là tu vois rouge quand tu te rend comptes de ce qu'elle fait.

« Attends, t'es sérieuse là ? Tu comptes toujours partir ? Là tout de suite ? »

Elle se fout de toi ou elle le fait vraiment exprès de te sortir de tes gongs ?

« Donc t'as rien capté de tout ce que je viens de te dire ? Je te préviens Ryn, si tu sors de cet appart sans avoir mangé et sans t'être reposée, tu ne remets plus les pieds ici, tu m'as bien comprise ? J'en ai plus que marre de tes caprices ! »

Était-elle seulement consciente qu'elle mettait sa santé en danger à agir ainsi ? Cela pouvait sembler un peu extrême mais cette fois-ci tu étais très sérieuse. Il était temps qu'elle comprenne que tu en avais plus que marre de vivre avec un fantôme qui n'est jamais à la maison.