Confessions nocturnes (Louakël #12)

J’avais passé la journée au centre avec mon homme. On avait totalement redécoré l’appartement afin d’en effacer toutes traces de mon handicap pour laisser enfin derrière nous toute cette malheureuse aventure. Depuis ton retour j’avais également du mal à te lâcher, le cauchemar de ta blessure n’étant pas totalement effacé de mon esprit. Surtout que tu me racontais de moins en moins de choses sur tes missions, te renfermant un peu plus sur toi-même. Tu m’échappais un peu plus, devenant telle une anguille quand j’essayais d’aborder le sujet. J’avais fini par arrêter de le faire, car tu te renfermais comme un huître. J’espérais juste que tu en parlerais avant qu’il ne soit trop tard. Je me montrais présent et prévenant et certainement un peu moins gamin qu’à mon habitude, l’inquiétude étant présente. À la fin de la journée, on était tous les deux épuisés, c’est donc relativement tôt que l’on va se coucher. On s’endort assez rapidement, comme toujours enlacé ensemble, paré pour une bonne nuit. Mais c’est au milieu de la nuit que je suis brutalement réveillé. Tu t’agites et me repousse plutôt brutalement. Le réveil est violent. J’ai du mal à reprendre pied dans la réalité, mais assez promptement pour remarquer que tu sembles être au milieu d’un cauchemar. Tu te bats contre tes propres démons, assez brutalement. Je ne réfléchis pas avant d’atterrir à cheval au-dessus de toi et de poser mes mains sur ton visage. « Bébé, réveille-toi, tu fais un cauchemar. » je ne te secoue pas comme un prunier, mais tente de te sortir de ce cauchemar en douceur. « Tu es à la maison, tu es en sécurité. » Mes doigts caressent ta joue.

Les bombes pleuvent, explosent sur les corps innocents qui se dessinent au loin. Pas suffisamment loin pour s'épargner la vision d'horreur qui s'en dégage : le sang dégouline sur les chairs égratignées. Les silhouettes meurtries s'assemblent au sol dans un vacarme intenable, tandis que les balles sont tirées avec violence. Tout explose faute de bombes incessantes. Tout sent la brutalité dans ce combat mortel qui mettra fin à la vie de nombreuses âmes apeurées. Christian court auprès de lui, prêts à s'éloigner du danger avant de combattre l'ennemi. Ils avancent vers un lieu plus sûr, avant que son frère d'arme ne soit percuté par une balle logée dans son front. Mort imminente, même pas le temps de lui dire adieu. Les yeux de Louka s'exhorbitent alors qu'il observe les dégâts, et le corps inerte de son ami. Son coeur est transpercé par une douleur plus profonde qu'une balle : la tristesse. Elle s'engouffre dans ses entrailles pour lui donner un mal de ventre sévère. Il se sent impuissant. Il se tortille dans son lit et s'écrie : « Mh... Mhhh... » dans des murmures sans fins et pleins de détresse.

Il se réveille, brutalement. Il aperçoit vaguement le visage de son homme se balancer au-dessus de lui. « Ahhh... » Il panique, donne des coups légers dans l'air comme s'il allait se fracasser, avant de regagner la réalité. Il prend conscience qu'il s'agissait d'un cauchemar effroyable, qui lui terrasse le cœur. « Putain... » Il murmure, la respiration vive, le cœur endiablé. La panique était intense, il s'en remet à peine. Il avait l'impression d'y être encore, de vivre cet épisode qui le hante encore. Il transpire de sueur, mais essaie de reprendre ses esprits et son souffle.

Je me demande ce qui se passe quand je te sens t’agiter ainsi dans le lit, ça ne te ressemblait pas. Je me sens impuissant face à ton cauchemar, je sais que je ne peux pas te réveiller brusquement car cela a des risques. Alors je me contente de t’observer avec inquiétude, le sommeil m’ayant quitté brutalement. Peut-être que ce cauchemar finirait par disparaître, mais il n’en est pas le cas. Tu te mets même à transpirer, ce qui ne t’arrivait jamais dans un sommeil agité, preuve que ton cauchemar était conséquent. Je ne pouvais pas rester sans rien faire. Je tente d’abord de poser une main sur ton bras mais tu ne réagis pas. Alors je dois y aller plus franchement. Je grimpe sur toi pour essayer de te faire prendre conscience que tu es sur un lit et pas là où ton esprit t’a amené.

Tu te réveille et je manque de dévaler de mon piédestal. Pourtant je raffermis ma prise autour de toi, et mes mains encadrent ton visage. « Louka. » Ma voix est claire et ferme, je veux te ramener dans la réalité. « Reviens vers moi. » J’embrasse ton front tendrement avant d’effacer les traces de sueur. Je retombe sur le lit, avant de t’attirer contre moi, dans mes bras. J’embrasse ton crâne et t’emplis de mon amour tout en gardant à l’esprit que j’allais éclaircir ce qui se passait dans ta tête car te murer dans le silence était loin d’être la meilleure solution. Je te serre ainsi pendant de longues minutes alors qu’un silence relatif nous entourait. « C’est passé ? » Je caresse ton dos et embrasse ton front.

Le cauchemar est intense et lui prend les tripes avec virulence. Ses songes le guident vers les combats subis, la mort d'un frère d'arme précieux dans son existence. Sa tête le renvoie vers les images qui hantent sa vie, ses nuits, mais aussi à cette angoisse qui le terrasse avec force. Il n'aurait jamais souhaité se retrouver de nouveau dans cette scène d'horreur, pleine de sang. La peur anime chacun de ses mouvements sur le lit. Elle ronge ses entrailles et provoque quelques secousses au niveau de ses membres. Il affronte la terreur, la tristesse, elles viennent s'emparer de son esprit pour lui donner un goût des ténèbres. Quand il se réveille, son corps s'agite, perturbé de regagner la réalité moins étouffante. Il lutte contre cet état de panique grâce à son homme qui lui apporte de la douceur, notamment en pressant son visage entre ses deux mains pour arrêter ses secousses et l'embrasser tendrement. Peu à peu, Louka revient à lui et se laisse bercer par cette dose d'affection. Il rejoint ses bras lorsque Ismaël retourne sur le matelas et l'attire contre lui. Il savoure les baisers contre son crâne, les caresses contre sa peau gelée. Il laisse quelques minutes s'écouler, et le silence planer, pour récupérer son souffle et un rythme cardiaque ordinaire. « Oui oui. » Il souffle contre son cou lorsque l'apaisement est revenu. « C'était juste un cauchemar. Rendors-toi. » Il reste contre lui, sans ne plus bouger, fermant les paupières.

Tu m’inquiètes car tu n’as jamais fait un tel mauvais rêve qui t’agitais autant tout du moins. Ce qui était le plus terrible, c’est que je sais que cela était lié à tes missions, mais que j’en ignorais la cause réelle. Était-ce ta blessure récente ? Ou quelque chose de plus enfoui ? Le doute me taraudait et ronger mon frein avec une impatience contenue. Il était temps que l’on aborde ce sujet qui commençait un peu trop à te ronger à mon avis. L’inquiétude se lit sur mon visage alors que tu sors promptement de ton cauchemar. J’ai mon cœur qui bat la chamade le temps que tu regagnes une réalité plus calme, plus sécurisante aussi. Je t’apporte tout le réconfort que je peux même si je le trouve bien mince. Mais il semble t’aider à retrouver cet apaisement bienfaiteur, autant pour toi que pour mon cœur emballé. Je soupire alors que je me laisse tomber sur le matelas tout en t’emportant avec moi, je suis incapable de te lâcher maintenant. J’ai besoin de te sentir tout contre moi, de t’apporter la chaleur quand je te sens frissonner. Mes gestes de réconfort ne s’arrêtent pas alors que tu m’affirmes que je peux me rendormir. « Non. » J’assène franchement cette certitude.je me redresse dans le lit pour retrouver la position assise, prompt à t’écouter parler de ce cauchemar. « C’était quoi ce cauchemar ? » Je caresse tes cheveux courts en attendant tes confidences.

Le cœur palpite fortement lorsqu'il regagne la réalité, à s'en décrocher de la poitrine. Le souffle est rythmé par l'angoisse qui le submerge, tandis que son corps traverse des secousses affolées. Son âme est bouleversée par les images qui restent coincées dans sa tête. Elles hantent son esprit, provoquent cet état de panique qu'il ne parvient pas à contrôler. La tendresse que lui délivre son amant réussit toutefois à effacer ces traces de terreur pour l'inonder d'apaisement. Louka retrouve un semblant de calme, coincé dans ses bras, les paupières fermées. Il s'apprête à se rendormir, sans ne plus songer à cette mort soudaine, à cette réalité déchirante qu'il n'a jamais eu la force de digérer. Elle reste présente dans son esprit, et il ne pourra certainement jamais oublier Christian, son frère d'âme. C'est une marque indélébile au creux de son cœur, qui ne s'élimine pas, et qui se maintient au fil du temps. Pourtant Ismaël l'incite à évoquer ce cauchemar. Louka fait mine de rien, prétend que le sujet n'est pas si grave. Son coeur se comprime toutefois à la seule pensée de Christian, à entendre son rire en écho au creux de ses oreilles. Toutes les confidences, les sourires, les cigarettes échangés, ont été fracassées sous les coups des bombes. Son âme ne s'en est toujours pas remise. Il le sent se redresser pour se positionner assis contre le mur. « Rien, je m'en souviens plus. » Il souffle sans ouvrir les yeux, incapable de se confier sur cette souffrance profonde. Il veut seulement oublier, passer au-dessus. Alors il garde sa tête bloquée contre son torse, sans affronter le regard de son homme. Le sien trahirait facilement son état de morosité. « Je veux dormir. » Il continue d'une voix douce, pour lui faire comprendre que partager ces instants poignants ne fait pas partie de ses envies actuelles.

l’amour que je ressens pour toi est vif, brulant. Alors je ne peux que m’inquiéter de te voir ainsi, toi qui a souvent été le pilier qui m’aidait à surmonter toutes les difficultés sans jamais te livrer de trop. Le fait que tu te renfermes de plus en plus sur toi-même m’inquiète davantage. À chaque retour de mission, j’ai cette impression tenace que tu m’échappes davantage, tu ne me dis rien préférant tout garder pour toi. Je n’aimais pas vraiment ça, mais je ne t’avais pas confronté, préférant te combler d’amour à tes retours, toujours trop brefs à mon goût. Mais j’ai atteint ma limite, je ne peux pas assister impuissant à ses cauchemars, ne pas savoir ce qui se passe dans ta tête et craindre que cela n’empire sans que je n’en sache quelque chose. Je ne te laisserais pas t’échapper cette fois-ci. Ce que tu sembles de nouveau vouloir. Ça ne m’étonne même pas, tu n’as jamais été vraiment encleint à te confier. Je resserre ma prise alors que ton corps clame tout le contraire. Je te sens crispé, tendu à l’extrême. Je fais glisser mes doigts le long de ta colonne vertébrale pour te détendre. « Vraiment ? Ou plutôt tu n’as pas envie de m’en parler ? » Ma voix est douce, encore empreinte de sommeil, pourtant je suis incapable de me rendormir. Tu es incapable de me confronter, ce qui m’assure que tu n’as pas oublié ce cauchemar saisissant. « Dans tout les cas on en parlera. » Je te garde contre moi t’abreuvant de ma tendresse.

Louka préfère se laisser détendre par son amour plutôt que de songer à toutes ces images ancrées dans son rêve. Il veut échapper à ce cauchemar, et ne tient pas à l'analyser en détails. Il voudrait chasser ces émotions négatives qui l'ont envahi d'un coup sec, à en compresser son coeur. Il étouffe à chaque pensée qui frôle son esprit, ou à chaque fois que la morosité vient inonder ses entrailles. Alors il tente d'éliminer toute cette morosité pour se conduire seulement vers l'affection que lui procure Ismaël. Pourtant il joue à la tête de mule, comme à son habitude, à vouloir connaître l'origine de son trouble. Il s'inquiète et s'entête à vouloir la vérité de cet état de panique dans lequel il l'a retrouvé. Il se sent tendu quand il le force à communiquer les démons qui le rongent, mais s'apaise vite quand il caresse sa colonne vertébrale. Ses frôlements tendres sont toujours une bénédiction pour son âme chamboulée. C'est le contact qui lui permet de retrouver un certain calme. « Je n'ai pas envie D'EN parler, c'est différent. » Il rétorque pour corriger ses propos, avant de se décaler de son corps pour retrouver la place à côté de lui. Il se détache de son corps car cette étreinte ne lui procure plus le réconfort désiré. « Tu es chiant. » Il commente quand il s'obstine à vouloir ses confidences. Il soupire, ouvre les paupières. Il réalise que le sommeil n'est pas prêt d'être gagné, et qu'une altercation s'impose. Il croise ses bras contre sa poitrine, se refermant un peu plus sur lui-même. Il a l'air fermé, agacé, exténué. Il ne croise même pas son regard, ne cherche pas tourner la tête ; apercevoir l'inquiétude dans ses prunelles rendrait sa douleur que plus profonde.

D’habitude les rôles étaient inversés. Alors je me sentais un peu désemparé face à ton état. Je t’apportais du réconfort, mais pas assez pour chasser la morosité qui semblait te gagner. Mais j’aimerais vraiment que tu t’ouvres à moi, que tu arrêtes de te renfermer. Je sais qu’au fond tu ne veux pas alourdir mon cœur de tes confidences. Pourtant c’est l’idée même d’un couple, même si parfois ce n’est pas agréable à entendre. C’est ce que j’essaye de te faire comprendre de manière maladroite. Tu me connais assez, tu sais ce que j’ai vécu. Je ne peux que t’écouter, peut-être pas te comprendre, parce que ce que tu vis me dépasse, mais j’aimerais être cette oreille attentive. Seulement tu ne m’en laisses pas le droit et ça m’attriste. Je me tais, le cœur lourd. Je ne veux pas m’éloigner de toi, je ne veux pas te laisser seul. Je ferme les yeux et laisse mon cœur saigner alors que j’ai encore la preuve que tu te renfermes sur toi. Je soupire et resserre mes bras autour de toi avant que tu t’échappes de mon étreinte. Je m’installe contre le mur alors que tu te mures dans un silence détestable. Je sens la dispute arriver, presque inévitable. « Oui et con, tu me le dis assez. » Je rétorque, frustré. « Certainement assez con pour que tu ne daignes jamais alléger ton cœur en ma présence. » Je balance, frustré de la distance que ça met entre nous. « Parle-moi, s’il-te-plaît. » C’est presque une supplique, que tu ne me laisses pas dans la noirceur de l’ignorance, ou de me bercer de cette illusion de ne pas te connaître si bien que ça, alors qu’on est fiancés.

Son rythme cardiaque redevenait ordinaire, sans se précipiter sous la panique. Les caresses et baisers de son homme suffisaient à l'envahir d'apaisement. Il chassait ces idées destructrices et déchirantes, de guerre et de sang, pour se laisser emporter par la douceur qu'il s'entêtait à lui transmettre. Pourtant Ismaël tient à lui apporter un peu plus grand soutien que celui réclamé par le blond. Il tient à savoir ce qui hante son âme et l'origine de son trouble conséquent. Louka comprend qu'être témoin de son cauchemar n'a pas dû faciliter l'inquiétude grandissante qui le ronge à chaque fois à son égard, mais il préférerait échapper à ces confidences. Il n'a pas envie d'évoquer les tourments qui terrassent son esprit et épuisent son corps. Alors il se referme au plus grand désarroi de son homme, qui prend ce silence pour lui. Énervé, Louka fuit son contact et reprend ses esprits, sans croiser son regard. Il entend les paroles négatives de son amant, qui se dévalorise en reprenant une insulte pour le qualifier. « Je n'en parle à personne tout court. Arrête de croire que tu es visé. » Il rétorque avec fougue, sans doute trop direct, pour préciser sa manière de penser. « Oui tu es con, ce n'est pas nouveau. Y'a certains jours où c'est plus positif que d'autres. Je t'aime comme ça, sinon je serais pas là, alors arrête de dramatiser. » Il soupire de lassitude, l'air toutefois plus doux. Il ne peut pas s'empêcher de le rassurer même si ça l'emmerde que ces pensées lui traversent l'esprit. « Tu sais que je ne suis pas du genre à penser que la parole est bienfaitrice. Ça n'aide personne de se plaindre ou d'expliquer sa souffrance. Elle ne va pas disparaître pour autant, elle sera toujours là. » Il explique de nouveau une caractéristique qui lui est propre, pour assumer son côté introverti. Il ne bouge pas, ne lui procure pas de douceur. Il n'est pas d'humeur à être affectueux, il se contente de résumer son état d'esprit. « J'ai juste vu Christian mourir une seconde fois. C'est tout. » Il annonce d'une voix banale, comme si ça importait peu, alors que son cœur s'est fracassé à cette idée.