◊ Les petits détails croustillants.■ Les Anecdotes.15 ans, 1998.Les doigts glissés sur le tube, il inspire le brouillard nocif qui s'insinue au creux de ses poumons. Il ne cesse pas d'embraser les fragments néfastes pour planer de manière démesurée, sans répit. Il laisse la marijuana infiltrer ses veines, enivrer ses sens jusqu'à n'en plus savoir qui il est, ni où il se trouve.
Le lendemain, allongé sous ses draps chauds, il entend un vacarme s'approcher de lui. Les bourdonnements sont intenses au niveau de ses oreilles, il sent les nausées inonder ses tripes. Les cris s'intensifient et viennent jusqu'à lui, après un résonnement provoqué par une ouverture de porte trop brutale.
« Dani', il est où ton frère ? » Il tente de ne pas s'évanouir, roule difficilement sur le côté pour se laisser éblouir par les éclats du soleil. Une main posée contre son front pour se protéger de la luminance considérable, il aperçoit les traits doux et angoissés de sa génitrice.
« J'en sais rien moi. Il est pas dans son lit ? » Il hausse les épaules de manière nonchalante, s'interrogeant sur cette inquiétude soudaine qui l'alerte.
« Est-ce qu'il est rentré avec toi au moins ? » Trou noir total. Il se souvient lui avoir spécifié de se poser contre un rondin de bois, autour du feu formé par son groupe de hippies, le temps de fumer son bang. Depuis, plus rien. Aucune trace de sa fratrie, envolée de sa mémoire.
« Je crois oui. » Il annonce pourtant, totalement déconnecté de la réalité qui lui rongera le cœur pour l'éternité.
« Tu crois ? Tu te fous de nous ? On te l'a confié une soirée ! Une soirée Danilo ! » Son père s'introduit dans sa chambre comme une furie, accompagné d'une rage évidente, empreinte dans sa voix et son regard durci. L'adolescent craignait sa présence, aurait préféré se l'épargner, et pourtant il décide toujours d'apparaître dans les moments les plus inopportuns. Sa colère s'abat sur lui, le père l'attrape par le bras pour le remuer. Il l'observe dans les yeux pour déceler le secret qu'il aurait mieux valu dissimuler.
« Tu t'es drogué en plus ? » Le père ne tarde pas à lui accorder une gifle violente, avant de l'empoigner par le cou pour obtenir des indices qui ne se glissent pas de ses lèvres.
« Il est où bordel ? » Il secoue son fils, qui commence par ailleurs à étouffer, et imperturbable tant l'envie de dégueuler se fait pressante.
« Chéri... Arrête... » Sa femme essaye de freiner cet élan de bestialité qui l'anime, mais elle est froidement repoussée dans un geste tranchant. La porte se referme sur eux et la sentence s'établit.
« Tu n'es qu'un incapable. » C'est tout ce que son cœur sera parvenu à assimiler au cours de ces minutes de souffrance abusive.
Son petit-frère de dix ans n'est pas revenu les jours suivants. Plus le temps s'écoulait, plus les affiches concernant sa disparition s'accrochaient désespérément au mur. L'attente était insoutenable, tant pour les parents que Danilo, qui demeurait muet durant ce passage morbide de son histoire. Il recevait les coups sans rechigner, sans supplier son père d'être conciliant. On lui a souvent répété qu'il était responsable, qu'il aurait dû jeter un œil plus insistant sur lui, plutôt que se faire tourner la tête avec des substances peu recommandées. Alors il l'a cru. Il se laissait piétiner parce qu'il le méritait. Il succombait au vide, se laissait emporter par la mort chaque jour. Si bien qu'il est devenu l'animal pour se délivrer de la douleur d'être un homme, se renforçant les muscles en déclenchant des combats au lycée. Il a souvent été traîné à terre, bousculé, déchiqueté, lui valant de nombreuses cicatrices contre les parcelles de sa peau aujourd'hui. Telle devait être sa sentence et il l'a acceptée.
17 ans, 2000.Suite à deux années de recherches intensives, la famille Rosario a finalement retrouvé leur fils tant apprécié. Pourtant, ce n'était plus celui qu'ils avaient laissé. Il s'apparentait plutôt à un légume lorsqu'ils ont pu le tenir entre leurs doigts. Les larmes de joie se mêlaient aux sanglots, vivement provoqués en affrontant l'affliction du gamin. Ils ne pouvaient imaginer les sévices endurés, encore moins la plaie béante que son agresseur a dû rouvrir au moindre coup ou abus sexuel. Ce n'était plus qu'un gosse amorphe, dépourvu de conscience et de l'affection essentielle pour son développement ; abruti par le choc de ses multiples agressions.
Danilo ne détenait pas une force suffisante pour se confronter aux dégâts occasionnés. Il ne pouvait pas affronter de plein fouet le torrent de culpabilité qui le submergeait chaque fois qu'il croisait son regard inexpressif. Son cœur se lacérait en songeant à sa responsabilité, lorsque son frère restait taciturne. Il ne parvenait pas à le tolérer, à subir le sort que son géniteur lui réservait dès qu'il en avait l'occasion.
Alors il s'est enfui en direction de Toronto lorsqu'il avait l'âge de s'envoler pour l'université. Avec le seul soutien dont il disposait durant sa dernière année de lycée, avec le seul amour qu'il n'a jamais eu. Rory ou le bel étalon qui frustrait toutes les demoiselles à avoir jeté son dévolu sur Danilo. Autant dire que c'était la meilleure chose qui aurait pu lui arriver, alors quand il lui a proposé de partir étudier dans cette ville grandiose, l'espagnol a acquiescé. Ils se sont aimés dans ce studio minable, dans les couloirs de l'université quand Danilo le rejoignait (il a finalement arrêté l'école pour devenir serveur dans un bar branché londonien durant quelques années), sous les couettes, contre la gazinière, sous le soleil, la pluie, la neige ; ils se sont aimés de manière sincère, avec passion, se perdant dans cette émotion pure et sensationnelle.
Et puis lorsque Rory a eu son diplôme de journalisme, ils ont déménagé à Vancouver, lors du mois de Juillet 2005. Il voulait se rapprocher de sa famille, alors que la sienne commençait à retrouver un certain équilibre : des petites sœurs sont apparues au cours des années et ses relations avec ses parents se sont apaisées. Son paternel désirait revoir son gamin, et Danilo ne s'est pas fait attendre plus longtemps ; il a même présenté son Rory. Ils ont digéré son homosexualité, même s'ils ont nourri l'espoir plus d'une fois, qu'il rencontre une jolie demoiselle pour faire perdurer leur descendance. Son petit-frère étant toujours aussi amorphe, il n'aurait pas pu procréer ; et Danilo venait de briser cet infime espoir. Et manque de chance, ils ont eu 6 filles après les deux aînés. Danilo contient une certaine pression familiale, sociale aussi, et même de la part de son conjoint désormais. Il n'a pas envie d'être père, de construire quelque chose. Danilo ne rêve que de s'envoler, de savourer, de s'éclater - de retrouver cette étincelle qui les enflammait avec son amant, et qui s'est éteinte depuis des années. Surtout depuis qu'ils ont institué les habitudes et le train train quotidien dans leurs existences, devenues maintenant mornes et insipides. Surtout lorsque Rory s'envole aux quatre coins du monde pour jouer au reporter...
33 ans, 2016.Je suis un homme mort coincé entre quatre murs, je suis, je suis un homme moderne. Je me cogne la tête et j'essaye de m'enfuir. Alors il se perd dans le parachutisme, pour ressentir de l'adrénaline lui envahir les tripes.
Alors il se perd sur les tchats sexuels, pour ressentir le désir le transporter, le submerger.
Alors il intensifie ses liens familiaux, se rend plus souvent chez eux, pour changer d'air et se donner la conscience de ne pas avoir totalement une vie dénuée de sens.
Alors il feint l'amour idéal auprès de son homme, parce que la lâcheté le guette. Incapable de suspendre la vérité au bout de ses lèvres, Danilo se dissimule sous cette couverture d'homme heureux et derrière ces apparences pesantes.
Mais il étouffe, renonçant chaque jour un peu plus au bonheur. Et il plonge sans cesse, sans relâche, dans ce torrent de souffrance et d'éreintement.
■ Les Tocs & Manies.Danilo se rend régulièrement sur les tchats internet ou skype pour rencontrer des hommes, et échanger de manière sensuelle avec eux. Tout ça dans le dos de son conjoint, qui part souvent en déplacement.
の Le train-train quotidien commence à l'épuiser et l'ennuyer, notamment sa vie de couple monotone.
の Il a un frère, mais amorphe et l'ombre de lui-même, à cause de lui, et six petites sœurs qu'il chérit.
の Il s'entretient correctement : mange des quantités raisonnables et entreprend de la musculation.
の Il n'a aucune envie de devenir père, de construire une famille. Il ne saurait pas expliquer pourquoi, mais son indépendance est indispensable. Il ne se sent pas du tout prêt.
の Niveau financier, il s'en sort. Il ne gagne pas de l'or mais il peut subvenir à ses besoins primaires. Le salaire de son amant lui offre toutefois une belle vie : grande maison avec piscine et jardin, avec surface... qui ne le recouvre pas de bonheur.
の Il rêve de voyages, d'adrénaline, de défis, d'amusement... mais les envies de son conjoint ne correspondent pas. Pourtant, il a la sensation de l'aimer très fort.
の Il boit rarement (juste un verre de vin rouge à certains repas), ne fume pas (déteste l'odeur), ne boit pas de café ni de thé.
の Il porte une gourmette au poignet que ses petites sœurs lui ont offerte. Il y tient beaucoup.
の Peu adorateur de la solitude, il s'est acheté un chien il y a plus de dix ans pour l'accompagner lorsque son homme disparaît aux quatre coins du monde. Il se nomme Yoki et c'est un golden retriever.
の Il apprécie la mode, aime bien s'habiller. Il est un bon conseiller pour ses amies, et fringue d'ailleurs son propre petit-ami.