~ Here I am ~ Thalia & Ainsley

Epuisée par une garde de plus de vingt-heures sans repos, ce fut avec une grande impatience que je voguais entre les différentes vitrines, sans jamais fixer mon regard, sans jamais cesser de jeter d'incessantes oeillades à ma montre. Je fus soudainement assagie par un sentiment nouveau, semblable à de l'inquiétude, quelque chose d'indéfinissable qui prenait naissance au creux de mon estomac... était-il arrivé quelque chose à Thalia ? Avais-je dit ou fait quelque chose de mal ?

« Sa-lut. Dé-solée pour le – re-tard. » « Bonsoir. » Répondis-je, amusée par sa course folle, par son allure mutine et ses grandes enjambées qui avaient immédiatement attiré mon attention quelques secondes plus tôt. Je détaillais rapidement sa tenue, tandis qu'elle reprenait sa respiration... et la comparais à la mienne. Etait-ce propre aux jeunes de ne jamais se vêtir en circonstance ? Ce fut par réflexe que je resserrais mon écharpe autour de mon cou, juchée sur un indémodable trench burberry qui, en dépit de sa longueur, laissait suggérer que je portais une robe ou une jupe à défaut, perchée sur une paire d'escarpins à bouts ronds. « J'espère que tu aimes la gastronomie italienne. » Dis-je en lui désignant la devanture d'un joli restaurant au charme certain, quoi qu'un peu prétentieux au premier abord. Lyhla et moi avions passé de nombreuses soirées chez Sorelli Fratelli, principalement à flirter, il y a quelques années. Et je devais leur concéder une chose, leur Prosecco était divin.

« J'aime tout. Sauf les oignons. » Je hochais lentement, bêtement la tête. Ça me semblait stupide comme réponse. Finalement, le plus stupide - ce qui me frappa soudainement, était de prendre conscience que j'ignorais tout de Thalia. Nous étions de parfaites étrangères l'une pour l'autre alors que nous étions tout de même, mère et fille. Le comble de l'absurde. « Désolée. Petit problème de coordination. J'ai loupé l'heure et... voilà ce que ça donne. » Je détournais rapidement les yeux, gênée à mon tour. Aussi, je répondis rapidement, par politesse, par souci de bienséance. « Oh, je n'avais pas remarqué. » J'emboîtais le pas pour l'inciter à me suivre, tenant la porte par réflexe, m'engouffrant dans le restaurant dans lequel nous fûmes rapidement accueillies, avec la plus grande amabilité. « Bonsoir. J'ai réservé une table pour deux personnes au nom de Pryce. » Le responsable de salle, à défaut d'un maître d'hôtel - l'élégance et le raffinement britannique me manqua subitement, nous dirigea au fond de la salle, un recoin étriqué non sans charme mais plus intime.
Déposant avec soin mon long trench, dévoilant une robe fourreau beige claire qui respirait le luxe - faute aux vêtements superbement coupés, je m'assis en invitant Thalia de la main à m'imiter.

« D'accord, la prochaine fois je trouve une robe. Ou un smoking. Désolée. Nervosité. » J'esquissais un sourire, amusée par sa maladresse. Autour de moi, les gens semblaient souvent frappés d'une espèce d'incapacité à agir, penser, voire s'exprimer correctement. « Tu es très bien comme ça. » Répondis-je en plongeant mon nez dans la carte des vins, avec pour seule animation, les cliquetis agaçants des bracelets de Thalia. « Vous... allez bien ? » Je reposais aussitôt la carte pour l'observer un instant, à travers mes cils. Battant des paupières non pour faire perdurer le réponse, je répondis. « Je pense que tu peux me tutoyer Thalia. » Ayant soudainement conscience que je pouvais l'intimider, à la manière de mes étudiants - pourquoi donc ?, je décroisais les bras et ajoutais. « Dis-moi... tu as un petit-ami peut-être ? » Demandais-je sans grande conviction. C'était maladroit. Pourtant, il fallait bien se jeter à l'eau n'est-ce pas ?

Soudainement, je pris conscience de ma maladresse, tandis que Thalia levait les yeux vers moi. C'était peut-être trop personnel, dans la mesure ou, bien que nous étions mères et filles, nous n'étions que de parfaites inconnues. Le paradoxe de la chose me donnait rapidement la nausée. « Non. Je viens d'emménager et puis... ce n'est pas trop mon truc. » « En même temps, tu es jeune, tu as le temps. » Répondis-je rapidement en appelant le personnel du regard. « Comment va vo-ta femme ? » « Elle est toujours alitée. Je compte les jours avant qu'elle ne puisse rentrer à la maison. Je te remercie. » Dis-je dans un élan de sincérité. Nous fûmes ensuite interrompues par l'un des serveurs. « Avez-vous choisi ? » « Je vais prendre des Farfalle alla Caprese... et un verre de Prosecco, s'il vous plait. » Je tournais la tête vers Thalia.