(libre) moins cinquante pour-cents sur les sourires

« Vous préférez régler par carte ou en liquide ? » Abrehàn lui fait un sympathique sourire ; vieille dame avec ses deux petits-fils, l’un s’avère arrogant, l’autre trop agité. Elle ne le regarde même pas, soucieuse de quitter les lieux, manipulée toute entière par les deux gamins. Deux gros billets. Elle s’en va, sans un au revoir, sans rien. Deux gros billets, pour trois paires de baskets et un jogging ; les gens l’effrayeront toujours. Il soupire, la queue des clients à la caisse est encore longue. Les soldes en automne, mais quelle idée… L’ex-boxeur fait un signe à une de ses collègues ; Irène est jolie, souriante, serviable. « Je te laisse la caisse, je passe aux rayons. » Un hochement de tête bref, elle prend sa place.

Le magasin est définitivement bondé, le patron fera son chiffre d’affaires en quelques heures. Cela fait déjà deux fois que les employés sont obligés de vider la caisse, tant elle se remplit vite. Au milieu des baskets, des joggins, des chinos, des casquettes, Abrehàn marche. Il s’est accoutumé à toutes ces odeurs, le cuir, le synthétique… Mais jamais il ne s’habituera à ces journées-là, quand les gens sont nombreux, pressés, impolis. Cette idée de lancer de grosses réductions, c’est celle de son patron ; forcément, lui n’a pas à vivre toute cette agitation, c’est plus facile quand on est assis face à son bureau toute la journée. Ils sont quatre employés, un affecté aux stocks, les trois autres errant dans la boutique. Du streetwear, partout, et même eux sont obligés d’être habillés comme ça ; Abrehàn porte un jogging noire Adidas, collant à ses jambes fines et musclées, qui, de loin, ressemblerait presque à un pantalon. Pour le haut, un polo blanc avec le nom de la marque dans le dos, cela suffit amplement. Il se poste dans l’angle d’un rayon, attendant les questions des clients… Et il est sûr que cela ne saurait tarder.