À la recherche de l’inspiration perdue [Maxim]

Deux semaines que la chaîne me harcelait non-stop. « Ça avance ? », « T’en es où ? », « Tu sais qu’on a besoin de script, hein ? »… J’avais beau les rassurer comme je pouvais, la réalité était que l’inspiration me fuyait. Littéralement. Je pouvais pratiquement la sentir me glisser entre les doigts. J’étais sec. Désespérément sec. Il me fallait changer d’air. Quitter mon appartement, au moins.

J’optais donc pour un bar. Pourquoi un bar ? Premièrement, parce que j’habite à trois minutes à pied, cinq grand max si jamais j’ai forcé sur la boisson (ce qui n’arrive pratiquement jamais). J’y ai mes habitudes quoi. Deuxièmement, parce que l’endroit est suffisamment animé pour que je puisse observer les clients sans trop me faire repérer, mais pas au point de me sentir oppressé. Et troisièmement parce que je suis vraiment dans la merde et que j’ai besoin d’avancer sur ce putain de scénario !

Je m’installais donc à ma table habituelle, un peu à l’écart, commandais un café avant de sortir calepin et stylo de ma besace. J’étais prêt, je n’avais plus qu’à espérer que l’inspiration ne serait pas en retard au rendez-vous.

La serveuse venait de m’apporter mon café. Trop chaud, comme toujours. Je le laissais donc refroidir quelques instants et j’en profitais pour dévisager les clients. Des habitués pour la plupart à cette heure-ci. Les poivrots s’alignaient au comptoir, leurs verres d’alcool fort religieusement posé devant eux. A leur façon de les descendre avec une telle efficacité, ils me faisaient penser à un bataillon de militaires le jour du passage en revue. L’armée des alcooliques. Un ! Deux ! Un ! Deux ! Un autre patron ! Je jouais nerveusement avec le capuchon de mon stylo. Ce n’était pas avec eux que j’allais pondre un scénario digne de ce nom.

J’ai la désagréable sensation que l’on observe. Une espèce d’instinct. Et je n’aime pas ça. Mais quand je tourne la tête, personne ne semble me porter la moindre attention. Il y a bien cette jeune femme, assise en face de moi, mais maintenant elle est tournée vers un autre coin de la sale, comme si son attention avait été attirée par quelqu’un d’autre. Pourtant j’aurais juré qu’elle me fixait il y a cinq secondes de ça.

Tout en faisant tourner négligemment mon stylo entre mes doigts, je décide de l’observer plus en détail. Elle a l’air à l’aise ici, seulement je trouve bizarre qu’elle soit seule. Intuitivement, je l’aurais plutôt imaginée entourée par un groupe d’amis bruyant, à rire et parler fort. Qu’est-ce qu’elle peut donc bien faire ici ? Sans vraiment que je m’en sois rendu compte, je commence à griffonner sur mon calepin.

Tueuse à gages
- elle a rendez-vous avec un client, un type qui veut se débarrasser de son patron
- raconter l’histoire du point de vue de la future victime
- faire comme s’il était le commanditaire du meurtre

Je souriais malgré moi. C’était pas Citizen Kane, mais il y avait de l’idée. En tout cas, ça méritait d’être creusé.
Merde, mon café est tiède.

A trop me concentrer sur mon calepin, j’en avais oublié de surveiller ma tueuse à gages, et je ne m’étais donc pas rendu compte que non seulement elle avait surpris mon petit manège, mais qu’elle se dirigeait droit vers ma table ! Et pas avec la tête de la jeune femme qui a envie de vous offrir un verre qui plus est… ça ne sentait pas bon, pas bon du tout !

Putain Leland, elle va te tuer ! La vie de ma mère, elle va te fumer dans ce bar, sur cette table, et t’auras même pas eu le temps de finir ton café tiédasse… C’est toi sa prochaine victime ! Je t’avais dit de la payer ta putain de licence, mais non ! Encore une fois il a fallu que tu n’en fasses qu’à ta tête. Regarde où ça nous mène tes conneries ! C’est quoi le truc qui dépasse de sa veste ? Putain, je suis sûr que c’est un silencieux ! Planque-toi ducon ! Tire-toi ! Fais quelque chose ! Ah le con, il bouge pas ! Tant pis pour toi… Ravi de t’avoir connu, Brubaker !

Je dois suer à grosses gouttes. J’ai du mal à respirer. Pourquoi moi bordel ? Je suis sûr qu’elle va me parler… Qu’est-ce que je vais pouvoir lui répondre ?... Déjà planquer le calepin. Bingo, elle me parle ! Agent du FBI… Gné ? Oh purée, quel soulagement ! En plus elle est détective privée, par tueuse à gages… Détective privé… elle a peut-être des super histoires à me raconter. Allez réponds maintenant !

« - Je crois qu’il s’agit d’une regrettable méprise. Je ne suis pas du FBI, je suis scénariste, scénariste pour la télé. J’observe les gens, ça m’inspire pour mon travail. »

Et puis suivre, il ne faut pas exagérer non plus ! Espionner tout au plus ! Et d’une façon fort respectueuse en plus !

« - Vous êtes sur une affaire ? Vous voulez que je vous aide ? »

La pègre n’a qu’à bien se tenir, Brubaker entre dans la danse ! Tremblez malfrats, votre pire cauchemar est sur le point de devenir réalité !