Staryn & Shane

La dispute avait commencé en plein milieu de soirée alors que celle-ci s’annonçait pourtant plutôt calme. Un repas pris en tête à tête entre frères, préparés des mains du plus ainé de la famille, qui voulait bien faire sans doute. Nous le partagions devant la télévision, un de ces émissions de téléréalité qui fait passer le temps et permet d’entretenir une conversation tout en étant à table. Nous avons parlé de nos parents et de leur perte soudaine, il y a plusieurs mois maintenant. C’est un sujet plutôt récurrent pour tout dire. Je pense que cela nous a tout deux affecté. Néanmoins, il a fallu qu’Elijah ouvre sa bouche, comme à son habitude et commence à me faire la morale. Je n’ai pas de travail. Je ne fais rien de ma vie en dehors de rester dans le canapé toute la journée. Non, il n’est pas au courant de la réalité et tout ceci, ce sont ses préjugés sur ma situation. Je préfère qu’il croit ça, plutôt que de savoir que je me fais autant, voir plus, d’argent que lui en vendant mon corps tout en prenant du plaisir. J’aurais jamais imaginé en arriver là dans ma vie, mais après tant d’années à être cet homme sage, j’avais besoin de changements en arrivant à Vancouver. Je n’ai pas réfléchi. Je me suis lancé là-dedans. Et je me suis surpris à aimer ça. Mais ce soir, cette réflexion de la part de mon frère, c’était celle de trop. Du coup, j’ai pris mes clics et mes clacs et je suis parti. J’ai claqué la porte, violemment et j’ai quitté l’appartement. C’est ainsi que j’en suis arrivé à errer dans les rues depuis une bonne demi-heure. Je rumine ma colère, parlant même à haute voix. Et bientôt, s’en est vraiment trop. Je donne un énorme coup de pied dans la première poubelle qui s’en vient, laissant ainsi les déchets s’éparpiller un peu plus loin et je jure : « C*nn*rd de frangin ! »

Cours du soir bonsoir ! L'un de tes profs a été absent la moitié de la semaine dernière, résultat : cours du soir en rattrapage. Ca, c'est pas cool. Mais comme c'est un cours assez essentiel pour ton concours et que c'est du dessin, tu gueules pas trop. Ta juste prévenu Chardonnay que tu rentrerais plus tard le soir. Bizarrement, vu que c'était pour la fac, elle n'a pas râlé. Peut-être que tu devrais lui sortir cette excuse plus souvent tient ! Bref, du coup quand tu sors, il fait déjà nuit. T'es en moto. Tu mets ton manteau fourré par dessus ta veste en cuir, ton casque fermé et tes gants en cuir avant de saluer tes amis et de filer dans les rues de la ville. Tu devrais rentrer mais t'as envie de faire un tour, t'aimes bien quand le soir, Vancouver se vide te laissant les rues quasiment déserte pour toi toute seule. En faisant attention aux plaques de verglas tu files dans la ville jusqu'à ce qu'un feu rouge - le premier depuis la fac ! pas drôle ! - te bloque. A ce moment-là , un bruit attire ton attention et tu tournes la tête pour voir un mec mettre un coup de pied dans une poubelle qui se vide au sol. - Et ben ! T'es pas du genre à faire attention au développement durable toi ! tu railles, amusée. Elle t'a fais quoi la poubelle ? Elle a avalé ta lettre d'amour ? Ouais t'es une connasse et tu l'assumes. Tu te mets plus sur le côté enlevant ton casque et secouant tes longs cheveux bruns. Ca va ? Tu tire une sale gueule, tu commentes plus douce. C'est vrai qu'il a pas l'air bien le pauvre. Il a la même tête que tu tire quand tu t'es engueulée avec ta soeur. Tu sais même pas pourquoi tu t'es arrêté. D'habitude t'es plutôt du genre à continuer ton chemin en t'en foutant. Mais tu sais pas. L'instinct peut-être. Tu fais un sourire au jeune homme, l'incitant à te faire confiance.  

La poubelle se vide donc, telle une grosse bouse qui tomberait du ciel, et je la regarde, fixement, un flot de pensées parcourant ma cervelle vide. Quelqu’un vient me sortir de cet état quelque peu spécial, une voix féminine dont la réflexion a le don de m’énerver encore plus. Disons que lorsque je suis en colère, mieux vaut ne pas en rajouter mais ça, l’inconnue ne pouvait pas le savoir en m’abordant. Je me retourne, un regard noir sur le visage et je finis par rouler des yeux alors qu’elle en rajoute une couche. « C’est bon, c’est pas toi qui va ramasser de toute façon… » Je lance, pas très sympathique. Elle a raison au fond. C’est pas cool pour mes employés municipaux mais là, c’est le cadet de mes soucis, je l’avoue. « T’as rien de mieux à faire ? Parce que le feu est repassé au vert tu sais… » J’ai envie qu’elle me fiche la paix, que je puisse continuer à ruminer, seul dans mon coin. Pourtant, elle me demande si je vais bien et j’hésite entre lui déballer ma vie ou continuer sur ma superbe lancée de mec absolument pas sociable. Finalement, son sourire me fait trancher pour la pseudo gentillesse. « C’est rien. Je me suis engueulé avec mon frère… Comme si j’avais besoin de ça en ce moment ! » Je baisse les yeux. Je regarde mes pieds un instant, avant de relever la tête. « Excuse-moi, j’voulais pas te parler mal… J’aurais pas dû… »