Dancing is a perpendicular expression of a horizontal desire. | Will, Bo et Line.

Dès qu’il avait appris la bonne nouvelle, Bo s’était directement enfermé dans sa chambre pour se préparer. Il ne réalisait pas encore tout à fait la portée de la révélation : William lui avait proposé de l’emmener avec lui pour une soirée, et cette fois ça n’était pas une entourloupe pour aller chez le dentiste. Non, ce soir ils sortaient bel et bien en boîte, et il comptait bien être au top de l’élégance pour enflammer le dancefloor. C’était décidé, ce soir il serait le plus Bo pour aller danser. Boney M, les Village People et les Bee Gees étaient d’ailleurs déjà de la partie, Bo reprenant leurs plus grands succès à tue-tête.
Après de longues minutes à choisir la tenue idéale, il pouvait enfin admirer le résultat dans le miroir de sa penderie. Pantalon patte d’eph en soie orange, ceinture avec boucle tête de lion, chemise blanche largement ouvert sur son poitrail blafard et maigrelet, col spécialement amidonné pour l’occasion, mocassins à glands imitation croco, lunettes noires à monture d’écaille, il avait vraiment fière allure ! Il ne manquait que la touche finale, un peu de gomina pour dompter sa chevelure rebelle, qu’il appliqua généreusement avant de filer se laver les mains et de se présenter devant sa sœur et son cousin. A leurs mines ébaubies, il sut immédiatement qu’il avait visé juste : il en imposait grave !

Le trajet jusqu’à la boîte de nuit lui parut durer une éternité. Dans tout son corps fourmillait une énergie qui ne demandait qu’à sortir, qu’à irradier autour de lui. Il ne tenait littéralement pas en place sur son siège, sautillant partout, secouant le siège conducteur d’excitation et posant mille questions sur les chansons qu’il espérait entendre pendant la soirée. Même la relative fraicheur du début de soirée ne freina pas ses ardeurs, et c’est à peine s’il entendit les conseils de William. Travolta avait pris possession de son corps et il réclamait du disco à foison et une frisée à faire swinguer à bout de bras jusqu’au bout de la nuit.
Malheureusement, Bo se trouva fort dépourvu quand la musique fut venue. Car le morceau qui passait quand ils arrivèrent lui était totalement inconnu. Quand il se retourna pour en faire part à Ombeline et William (il avait déjà la bouche ouverte), il réalisa que les deux s’étaient déjà esquivés, le laissant en plan comme un faisan le jour de l’ouverture de la chasse.

Bonaventure ne s’en laissa pas compter pour autant, et c’est sur les premières notes de Despacito qu’il fit son entrée sur la piste de danse. Tout autour de lui, ça dansait collé-serré, ça s’emplafonnait dans tous les coins… Bo, lui, ne savait danser que le disco, et il le dansait en toutes circonstances. Très vite, il se cala sur le rythme de la chanson.
Ses hanches étaient mobiles, ses pieds vifs, ses bras déliés, ses mouvements précis et rapides. Bientôt certaines personnes s’arrêtèrent de danser pour dévisager cet énergumène qui semblait caler la choré de Y.M.C.A. sur le refrain du tube de Luis Fonsi. Pendant les couplets, il frétillait de l’arrière-train quand il ne gratifiait pas la foule de sa danse du robot qui, il en était convaincu, avait un effet dingue sur la gente féminine. Il tourbillonnait, virevoltait, léger comme une plume quand il aperçut Ombeline qui paraissait se cacher derrière un pilier, près du bar. Admirez au passage la mise en abîme du pilier de bar qui se planque derrière un pilier, c’est quand même beau. Enfin, c’est la sœur de Bo, mais vous aviez suivi.
Croisant son regard, et voulant partager un moment privilégié avec sa petite sœur adorée, Bo l’attrapa avec son lasso imaginaire, qu’il avait fait tournoyer longuement au-dessus de sa tête, gangnam style style. Tout en poussant de grands cris de cow-by, il tirait sur la corde et la ramenait à lui. Ou du moins il tentait de le faire, mais l’agneau semblait se débattre et ne pas vouloir se décoller de son tabouret. Pourtant il tirait, il tirait, il y mettait tout son cœur (wow oh oh oh).

Après une bonne minute à tirer sur ce foutu lasso imaginaire, Bo devait bien se rendre à l’évidence : amener sa frangine sur la piste de danse, c’était loin d’être castoche ! Et non seulement, elle ne venait pas, mais elle s’éloignait en plus la bougresse. Là ça dépendait l’entendement, pourquoi payait-on pour entrer en boîte si ce n’était pas pour enflammer le dancefloor ? C’était à n’y rien comprendre… Elle devait sûrement avoir de solides raisons pour le fuir comme ça, aussi lui emboîta-t-il le pas, fendant sans effort une foule qui s’écartait devant lui, à coup sûr à cause de la forte impression que provoquait en eux sa tenue si raffinée.

Finalement Ombeline ne mit pas longtemps à retourner… au bar ! Décidément, quand il s’agissait de trouver de l’alcool cette fille avait le flair d’un cochon truffier ! Mais deux choses sautèrent immédiatement aux yeux de Bo. Premièrement William ne s’était pas perdu, puisqu’il était accoudé au comptoir, et ce même s’il avait l’air de se tasser sur son tabouret de seconde en seconde. Et deuxièmement, il n’était pas seul, ce qui expliquait sans doute pourquoi il semblait se tasser sur son tabouret de seconde en seconde.
Tandis qu’il faisait de sommaires présentations - et sans vraiment y mettre l’enthousiasme qui sied à une telle rencontre - Bo dévisageait la jeune femme. Saperlipopette ! C’était celle-là même qui avait fait déchirer son BO-ing, et qui lui avait valu cette discussion particulièrement déplaisante avec le Cric… Mais il y avait fort à parier qu’elle ne l’avait pas reconnu avec sa tenue d’apparat. Il prit donc sur lui de se présenter, avec un peu plus d’entrain.

«  Je m’appelle Dell. Bo Dell. Mais je t’en prie, appelle-moi Bonaventure, car avec moi la vie est comme une aventure. »

Et pour ponctuer son petit laïus, il la gratifia de ce clin d’œil à vous faire courir un frisson désagréable le long de l’échine. Son go-to-move niveau séduction. Puis, collant son tabouret à côté de celui de William, il passa son bras autour de ses épaules (et en sachant pertinemment qu'il détesterait ça).
Mais si son cousin en pinçait pour la donzelle, il aurait bien besoin de son aide pour arriver à conclure. Car depuis quelques années, c’était pas tout-à-fait ça niveau romance, on frôlait carrément la traversée du désert… Heureusement qu’il l’avait invité à l’accompagner, on n’était pas passé loin de la catastrophe ! Et en plus il avait le droit de commander à boire ? Trop bien !

«  Un whisky coca ! Avec beaucoup de coca ! »

Normalement, on ne le laissait jamais boire d’alcool, un peu pour les mêmes raisons qui font qu’on ne nourrit pas un Mogwai après minuit. Soit disant qu’il devenait incontrôlable après et qu’il ne se souvenait pas de ce qu’il faisait… Balivernes ! Mais quelque chose lui disait que cette fois-ci William ne lui interdirait pas de boire un peu, rapport avec la blondinette.
D’ailleurs, en parlant de la blondinette, il était temps de sonder le terrain. Mais attention, terrain potentiellement miné, d’où l’impérieuse nécessité de manœuvrer avec d’infinies précautions.

«  Alors, ça fait longtemps que tu le fréquentes, cousin Will ? Tu savais qu’il a 36 ans ?

Subtil qu’on vous dit !
Mais n’allez pas vous méprendre sur les intentions de Bo. Il est extrêmement content que William troque, ne serait-ce que pour un soir, la compagnie de vieux barbus morts il y a 2000 ans pour celle d’une charmante blondinette. C’est quand même plus sain comme fréquentations. Même pour un homme de son âge…