Leeds + Chloé & Amaury

Avoir gardé leur résidence à Leeds, en Angleterre, c'était certainement une des meilleures choses que la famille avait faite, aux yeux d'Amaury. Les Rowling étaient une famille aisée, et ils pouvaient bien se le permettre. Et quand il venait en Angleterre pour les vacances qu'il se prenait de temps à autres, ce n'était pas que par nostalgie.. Non, pour Amaury, le fait de se rendre dans cette maison était simplement pour la tranquillité qui y régnait, et l'impression de vacances, qu'il avait fini par imprégner de cet endroit. Et c'était déjà le cas avant qu'ils ne partent. Les Rowling avaient acquis une grande villa, une parmi tant d'autres dans ce lieu plutôt campagnard, où la Tamise passait. Ils l'avaient transformé en une maison de vacances, simplement, plutôt que d'aller se perdre dans des locations pour revenir "au pays"
Après une longue semaine.. que dis-je, un long mois, même plus, un long semestre, à ne pas vraiment avoir l'occasion de se reposer, Amaury avait téléphoné chez ses parents, et envoyé un message à ses sœurs. Il était fort grand temps de se rendre dans la maison. Malheureusement, monsieur et madame Rowlings'étaient vus contraints de décliner l'offre de se rendre à leur maison de Leeds, et il n'avait eu comme réponse que celle de Chloé. Aaaah ! la petite sœur en entendrait parler, va ! Etant à son compte, il avait uniquement prévenu ses patients de son absence,  sachant très bien qu'il devrait rattraper les heures perdues et facturées par un confrère. D'un autre côté, ce n'était pas vraiment comme si le jeune médecin passait son temps à prendre des vacances. Bien au contraire, on ne le voyait que très rarement absent, et il faisait en sorte de n'être jamais malade. Facile lorsqu'on est médecin diriez-vous, mais croyez-moi, ce ne sont pas les cordonniers qui ont les plus belles chaussures !
Amaury et Chloé s'étaient retrouvés et étaient allés ensemble à la maison, après quelques heures d'avion, puis de trajet en voiture -durant lesquels l'aîné de la famille, borné comme un âne, avait refusé de laisser le volant à sa sœur- et avaient déballé leurs sacs, plus ou moins gros, chacun dans leur chambre respective. Amaury sentait que ça allait lui faire beaucoup de bien. Il avait fini, et s'était préparé un café, avant d'aller s'asseoir sur les marches de cette bien grande maison. Il ferma les yeux, écoutant le bruit rassurant de l'eau stagnante et des animaux de campagne, avant que Chloé ne vienne à s'asseoir à côté de lui. C'est chouette que t'aies pu venir, ça aurait été triste cette maison ici tout seul... dit-il en tournant la tête vers l'intéressée. D'un autre côté, la vie au quotidien sans sa sœur, c'était toujours un peu une épreuve. Ils étaient liés, tous les deux. Avec Clémentine aussi, mais c'était un peu moins intense. Et parfois, Amaury se prenait à rêvasser du temps où ils passaient chaque minute ensemble, à parfois n'espérer qu'une seule chose : être séparés. Sauf que maintenant, c'était l'inverse qui se produisait assez souvent dans l'esprit du jeune homme.

Leeds, ça avait toujours eu un petit côté paradisiaque à mes yeux. Petite, j'y construisais ma vie de princesse, faisant des châteaux de sables éphémères de grands et magnifiques royaumes où seuls la paix, le silence, le bonheur et le végétarisme régnaient. Tout était beau, tout était rose, j'imaginais mon frère et ma soeur prince et princesse à mes côtés, vêtue d'une longue robe à traîne et à volants rose.
Même le temps filant, Leeds avait gardé ce petit charme magique que j'avais toujours aimé depuis ma plus tendre enfance. Désormais il représentait un hiatus momentané du monde complètement différent que celui que j'imaginais enfant et dans lequel je vivais désormais, plus terre à terre. Je ne ratais cependant pas souvent l'occasion de m'y rendre, friande du calme et de la sérénité qu'il pouvait y régner, même lors des froids mois d'hiver. C'est pourquoi, lorsque mon jumeau avait lancé un appel à témoins  commun pour y réunir la famille et profiter d'une de ses rares vacances, je n'avais pas hésité.
L'avantage à la boutique était que nous travaillions à deux et qu'il était donc facile de s'absenter tant qu'il y avait quelqu'un pour la tenir. Alors, sur !es rares fois où je m'absentais, j'en avais profité pour poser quelques jours, prendre l'air en dehors des quartiers de la ville qui ne dorment jamais. J'avais retrouvé mon frère, un peu déçue de ne pas voir ni parents ni soeur cadette, et étions partis pour un voyage nt lequel je n'eus même pas l'opportunité de poser un ongle sur le volant, moi qui adorais conduire. Une fois à destination, nous avions posé et rangé nos affaires.
Ce ne fut que plus tard que je trouvai mon frère sur les marches de la terrasse, tasse de café en main, tandis que, de mon côté, j'avais opté pour un thé très chaud. Je m'assis à ses côtés, les yeux rivés sur les vagues.   « C'est vrai. À chaque fois que l'on se retrouve ici, j'ai l'impression de revenir des années en arrière... » Je soupirais. J'étais certaine qu'il avait compris. Ce n'était pas tant ma jeunesse que le temps où nous étions toujours ensemble, en famille, que je regrettais.

En Angleterre, le temps passait vite. On avait vite l'impression que l'hiver était là. D'un autre côté, il n'y faisait vraiment chaud que pendant trois à quatre mois dans l'année. Et les vacances passaient toujours incroyablement vite. Comme l'été. Mais c'était également les années qui se faisaient rappeler, en étant ici. Et parfois, Amaury avait l'impression de sentir ces fameuses années en étant là. Comme si le temps n'était pas partir, et que le passé s'amusait à résonner au creux des vagues qui venaient à se perdre près du sable.
Le jeune homme était assis sur les marches des escaliers, sa polaire sur le dos, et malgré la fraicheur -pour ne pas dire le froid- ambiante, réconfortée par la grande tasse de café chaud qu'il tenait dans ses mains, faisant cogner légèrement la bague de son index sur la tasse, il avait l'impression que c'était à un moment comme celui-ci que Leeds se jouait de leur passé. Ce qui avait été conforté par la réflexion de Chloé, venue rejoindre Amaury au pied des escaliers, pendant qu'il restait là, pensif. C'était certainement l'état d'esprit qui le caractérisait le mieux lorsqu'il se trouvait ici.
Il n'était pas sûr d'avoir compris ce qu'elle voulait qu'il ne comprenne derrière ses paroles, mais malgré toute chose, ça semblait assez évident. Amaury fit un léger sourire, peut-être un peu gêné, et s'engagea à parler, en laissant sortir la syllabe "é" avant de faire une légère moue, et de se couper. Il ne savait même pas sur quel terrain il s'engageait, et s'il n'allait pas dans la mauvaise voie en parlant. Etre de faux jumeaux et de ne plus se voir quotidiennement, ça changeait tant de choses que ça. Finalement, il reprit la parole, pour tenter une approche moins risquée, et plus globale. Il faut parfois laisser le passé, non ? Même si ça fait mal. pour lui, il était désormais question de l'enfant de Chloé. Le secret de la fratrie, qui ne sortirait jamais de là, sauf volonté de Chloé, ou si on le faisait boire de trop. Et encore, une part de lui au fond continuerait à cacher ce secret. Et pour lui, il fallait que sa sœur apprenne à vivre en sachant ce qu'il s'est passé, et sans se priver d'être heureuse. Il la regarda dans les yeux, en mettant sa seconde main sur la tasse de café, la réchauffant légèrement au passage. Tu sais, je pense que tu as fait le bon choix, et que tu ne dois pas regretter le passé, Chloé. Je sais que tout n'est pas si simple, mais tu dois y penser le moins possible. Amaury refit une moue, en haussant les épaules, et but un gorgée de café. C'était peut-être plus dur à dire qu'à faire. La preuve, lui n'avait jamais oublié leur seize ans, la vie à Bordeaux, bien qu'il se soit accoutumé à tout cela.

En ce début de saison chaude, la brise et la fraîcheur de Leeds était bien plus qu'appréciable. Un des nombreux avantages de cette partie du pays. Leeds était toujours agréable, bien que je ne connaissais pas du tout, ou du moins pas vraiment bien l'effet qu'ils produisaient sous le froid de l'hiver. Mais, de mon côté, c'était le calme ambiant qui me séduisait le plus. L'effet apaisant était quasi immédiat, tant que l'on se laisser bercer par le flux et reflux des vagues, endormis par la douce odeur salée qui s'en dégageait. Le centre ville de New York pouvait pâlir de jalousie.
C'était sans aucune surprise que je retrouvais mon frère, muni d'une polaire et d'une tasse de café quand, de mon côté, je me ramenais avec une tasse de thé et un pull un preu épais. Quand les grands esprits se rencontrent. Ou du moins deux esprits jumeaux.
La conversation s'était bien vite engagée sur une pente glissante. Le quiproquo était vraiment inattendu et surprenant. Pourtant j'avais, me semblait-il, compris où il voulait en venir. Mais quel que soit le sujet dont on parlait, je n'étais pas du genre à réussir à laisser passer derrière moi. J'étais plutôt le genre a ruminer ce qu'il s'était passé, encore et encore. Et ça me tuait peu à peu, même si j'essayais de le cacher. Je soupirais bruyamment a ce qu'ajouta mon frère. C'était juste ce que j'imaginais être le sujet évoqué, celui dont je n'avais aucune envie de parler.   « Sans doute, mais tu me connais... Et ça me ronge, j'ai besoin de savoir.. » Oups, j'en avais trop dit. Amaury n'était pas au courant de mes recherches. En fait, quasiment personne ne savait. Personne sauf des gens qui ne me connaissaient pas. Et je venais de prendre le risque de devoir tout raconter.

C'était toujours agréable d'avoir une petite polaire, quand le soir arrivait, à cette période de l'année, pour Amaury. Il ne faisait pas froid à proprement parler, mais assez frais pour apprécier de ne pas avoir la peau qui donnait l'impression de refroidir. Le confort de la chaleur valait bien le coup d'être sous une polaire, quitte à passer pour un idiot. Tasse en main, il avait fait un petit compliment à sa jumelle. Sa présence avait ce petit quelque chose de rassurant. D'un autre côté, du haut de ses vingt-neuf ans, Amaury n'avait jamais été seul dans la maison de Leeds.. Enfin, sauf quand il y avait des gens à visiter, mais très souvent, il restait deux jours, et ne dormait pas chez lui. Allez savoir pourquoi.
Il venait de prendre une gorgée de café, quand ils évoquèrent, de près ou de loin, le sujet tabou dans la famille. La grossesse de Chloé. Par mesure de sécurité, dans le cas où il s'était trompé, Amaury avait tenté de se cacher en plongeant -le plus possible- sa tête dans la tasse qu'il tenait dans ses mains. Si jamais il abordait le sujet comme ça, alors que ce n'était pas le cas, c'était certainement la fin de sa triste vie. Mais d'un autre côté, il connaissait sa jumelle de façon certaine. Il savait parfaitement bien qu'il n'y avait pas mille et une possibilité. Il releva la tête en l'entendant. « De savoir ? Savoir quoi ? » Amaury pouvait comprendre qu'elle se demande si elle avait ou non fait le bon choix. Mais savoir ? Savoir quoi ? Elle risquait de se faire plus de mal qu'autre chose. Ce qu'il ne tarda pas à souligner, avant d'avoir eu la réponse à sa pseudo-question. « Fais attention, Chlo', tu risques d'aller sur un chemin dangereux. » .