i've been searching for a trail to follow again ft. hazelia

« Peut-être. On verra. » Avais-je finalement répondu, hésitant à quitter Vancouver ne serait-ce que pour un week-end, de peur de manquer une quelconque opportunité professionnelle. Pourtant, Jonah n'avait pas plus donné signe de vie depuis quelques semaines, disparaissant des réseaux sociaux et des soirées mondaines qu'il aimait tant fréquenter.
Libre de toute contrainte, j’occupais mes journées à regarder les rediffusions de TGE, à manger - Jonah allait être ravi d’apprendre que j’avais gagné pas moins de cinq kilos en trois semaines, et à fumer. Je fumais partout et tout le temps ; dans la chambre à coucher, dans la salle de bain, dans le salon et même dans les toilettes, l'appartement était devenu un véritable cendrier ainsi que la déchèterie de mes rêves avortés. Le sol était parsemé de robes de galas que je ne parvenais plus à enfiler ; je passais de longues heures à pleurer de rage et à m’empiffrer pour me consoler, ainsi que des cadavres de dîners : emballages de pizzas, barquettes du restaurant chinois, paquets de chips, bouteilles de sodas, etc.. Plus je m’engouffrais dans cette dynamique morbide et plus je m’éloignais d’Ezelia, ne répondant que très partiellement à mon téléphone que je retrouvais la plupart du temps, niché dans l’arbre à chat.

Et puis je la vis à la télévision, observer son frère à travers l'écran géant, comme si elle découvrait la lune, les yeux émerveillés par tant de magnificence. D’autres extraits encore occupèrent le poste de télévision, sans que je n'y accorde plus d'importance. J’hésitais à changer de chaîne lorsque je remarquais qu’une femme apparaissait sur plusieurs plans : tout d’abord en coulisses, lorsqu’elle apportait une bouteille d’eau à Ezelia, puis sur un divan dans les loges, assise entre les deux jumeaux comme si elle eut été de la famille et puis sous le même parapluie que ma fiancée en sortant d’un concert avant de grimper dans un même fourgon. C'est qui c'te pouffiasse ? J’explosais lorsque le montage vidéo suggérait que cette tournée avait donnée lieu à une nouvelle romance, bien que les commentaires du reportage en eux-mêmes n’évoquaient rien de tel.

L'impulsion du voyage est l'un des plus encourageants symtômes de la vie.

J’atterris à l’Aéroport Adolfo Suárez de Madrid à la nuit tombée, soit aux alentours de vingt-et-une heure sous un ciel dégagé et une chaleur écrasante - mon portable affichait 30°C, soit environ 15°C de plus qu’à Vancouver. Bien que nul ne semblait me reconnaître parmi les passagers de l’avion, tous semblaient s’accorder sur un point : l’excentricité de mon apparence. Mes cheveux avaient été coupés en une sorte de carré mal dégrossi tandis que mon joli blond avait disparu au profit d'une couleur rose délavée. Je me félicitais de cet acte de pure rébellion qui n'était qu'un véritable doigt d’honneur envers la production de TGE et des médias qui avaient dicté ma conduite des années durant.

En ce qui concerne mon accoutrement, celui-ci n’avait absolument aucun rapport avec mon renvoi de TGE, bien qu’il m’arrivait parfois de me demander si mes choix vestimentaires auraient été les mêmes si je n’avais pas grandi sous les feux des projecteurs. Je ressentais le besoin de trouver le vrai-moi, et cela passait  par l'essai de différents déguisements.
Je débarquais donc en coulisses affublée d'un t-shirt sans manches noir emprunté à Ezelia et d'une jupe de la même couleur, surplombée d'une paire de Doc Martens, le tout accompagné d'un lot de breloques empruntées à ma fiancée. Je me sentais comme Sandy dans Grease, prête à conquérir le monde.

J'échappais un cri lorsque l'on m'agrippait soudainement, m'entraînant dans une loge. « Au secours ! » Hurlais-je alors que l'on fermait la porte à clefs. « Ezelia ?! Bon sang, tu m'as foutu la trouille ! » Fis-je en réalisant qu'il s'agissait de ma fiancée, détaillant sa tenue ; de ses baskets couvertes de poussière à son t-shirt visiblement tâché. « Jolie dégaine. » Dis-je en m'esclaffant, attrapant sa casquette que je déposais sur l'arrière de ma tête. « Qu'est-ce que tu fais là ?! Je doutais que tu viennes. Et qu'est-ce que tu as fait à tes cheveux ?! Eh, mais c'est mon T-shirt ! Et mes bijoux ! Soit dit en passant j'aime bien la coupe. » « Ouais, j'ai longtemps hésité pour la quincaillerie, j'ai même pensé à me faire percer le nez juste pour mettre tes piercings. » Je jouais avec l'anneau en plastique noir qui ornait ma narine gauche. « C'est un clip ! » M'exclamais-je en riant. J'étais également, un peu éméchée. Il fallait bien occuper les treize heures de vol. « J'suis désolé, j'aurais du te prévenir que je venais mais je me suis décidée à la dernière minute... enfin, je me suis laissée jusqu'à la dernière minute pour changer d'avis et puis, je me suis endormie dans l'avion. Putain, on crève de chaud ici. » Dis-je en m'éventant à l'aide d'une main. « C'est en option la clim ? »

Je sursautais lorsque l'on tambourinait à la porte. « Eze', ça va ? » « JE T'EN POSE DES QUESTIONS ???!!! Va faire ton job ! » Ce qu'elle était belle quand elle s'énervait, encore plus quand elle prenait ce regard hystérique. Je me mordis la lèvre en lui adressant un sourire aguicheur. « T'es très demandée, visiblement... je peux repasser, si tu veux. » Je balançais mes jambes à la manière d'une gosse insupportable en faisant rapidement le tour de la pièce. Les affaires d'Ezelia traînaient en pagaille dans la pièce. Je me sentais chez moi. J'extirpais un rouge à lèvre de mon sac à dos que je déposais sur le sol et grimpais sur le comptoir pour m'assoir sur son rebord, profitant de cette occasion pour tracer un coeur énorme sur le miroir, sur lequel je m'appliquais à inscrire « i love you, xoxo jessica ». J'y déposais un énorme baiser rose en son centre.

Ezelia se dirigea vers moi, m'enlaçant bien que je m'étais assise sur le comptoir. J'encadrais ses épaules de mes bras, sentant la chaleur de son corps contre mon intimité. Je dirigeais nos regards à cet endroit, esquissant un sourire entendu. « Je suis heureuse que tu sois là. Mais... Tu n'as pas peur que quelqu'un comprenne, pour nous ? Enfin, je suis presque sûre que ta nouvelle coiffure éclipsera tout, mais... Bref. » « Tu aimes ? » Répétais-je en désignant mes cheveux du regard, même s'il ne s'agissait pas d'une interrogation, caressant sa nuque du bout des doigts.

« Tu es différente. Qu'est-ce qui se passe ? » « Comment ça ? Parce que je suis heureuse ? Bon, je dois t'avouer que j'ai descendu quelques mignonnette dans l'avion... ou pour mes cheveux ? Je dois t'avouer que c'est très libérateur. Et puis, on dirait que ce changement a l'effet escompté... » Répondis-je en l'observant me contempler avec une tendresse infinie. Dieu qu'elle m'avait manquée ! Dieu que les cliquetis de sa quincaillerie m'avaient manqués, de même que ses t-shirt sans manches de punk qui semblaient hurler « je suis lesbienne »... « Très franchement je -  » La porte s'ouvrit à la volée, laissant apparaître une jeune femme aux cheveux blonds courts dont la silhouette mince à l'extrême me faisait pâlir de jalousie. « Eze, j'ai pris les clefs de secours, je m'inquiétais pour toi.. » « Sans déconner. » Hurlais-je en levant les yeux au ciel. Personne ne se serait permis de débouler ainsi sur le plateau de TGE, les clefs de secours ne servant qu'en cas d'urgence absolue. « Vous êtes qui ? » Me dit-elle en s'avançant jusqu'à moi, fulminant de jalousie en observant la proximité du corps d'Ezelia avec le mien. Je repoussais ma fiancée et sautais du comptoir pour lui faire face, forte d'une témérité exacerbée par les effets de l'alcool et de l'épuisement physique, du fait du décalage horaire. « Eze, est-ce qu'elle a un badge au moins ? » Glapit-elle, en se dirigeant vers Ezelia pour chercher du réconfort. « Il est sur ma gueule le badge, salope. T'es qui d'abord ? Rentre chez toi. »

Je jaugeais rapidement la concurrence, me préparant à m'esclaffer - bien qu'une pointe de jalousie se dessinait dans mes yeux lorsque je remarquais sa taille fine, lorsqu'Ezelia laissa échapper un éclat de rire. Je me retournais aussitôt dans sa direction, mes prunelles incandescentes s'arrêtant sur elle, accentuées par un maquillage outrancier ; des couches de khôl encerclaient mes yeux, s'estompant sur mes paupières à la façon panda.

Je ne refusais pourtant pas son bras qui se posait soudainement sur ma taille, arquant un sourire narquois en me collant contre Ezelia. « Et je ne veux pas entendre une seule fois, de qui que ce soit, que » « Ouais !  » M'exclamais-je en jetant mes cheveux en arrière. «... tu t'en es pris à ma fiancée, c'est clair ? Je peux être très conne quand on s'en prend à la femme que j'aime. Ne t'avise pas de faire cette connerie. » J'éclatais de rire, m'arrêtant derechef pour dévisager Ezelia. Millie s'exécuta, claquant la porte sous les hurlements de ma fiancée qui s'évertuait à verrouiller la loge. « OUAIS ENFIN, J'SUIS PAS LESBIENNE. » Hurlais-je en me rapprochant de la porte afin d'attirer l'attention de Millie. Puis, je me retournais vers Ezelia en aboyant. « Enfin tu m'comprends. Et merde, qu'est-ce que t'avais à lui dire que j'suis ta fiancée putain.  »

« Que ça me ferait plaisir ? T'es sérieuse là ? Hello, secret girlfriend. Tu comprends le concept ? » Dis-je en portant une main sur mes hanches, faisant cette moue insupportable qui me donnait l'air d'une pétasse. « Tu sais quoi, ça me fatigue ces histoires. Je parcoure le monde pour te retrouver et tu n'as que ça à la bouche : assumer, assumer, assumer. Et bordel non, jamais tu ne me compteras dans les groupies d'Ezekiel. » Dis-je en tirant la langue pour exprimer mon dégoût, aussi immature que je pouvais l'être.

« C'est bien ce que je pensais. Il y a un truc entre Billie ou Millie ou que je sais-je encore, et toi ? C'est parce que je ne fais pas encore assez lesbienne ? Flash news, Harley Stevenson est lesbienne. La grande héroïne déchue de The Great Escape aime les filles, sortez les caméras, tendez les micros ! » Fis-je en mimant l'ensemble de mes paroles, l'observant avec rage rassembler ses vêtements - ce qui me donnait étrangement l'impression qu'elle prenait ses distances ou pire, qu'elle mettait fin à notre relation. En bonne hystérique que j'étais, je me dirigeais vers la porte pour déverrouiller la loge - par chance, Ezelia avait laissé l'un des trousseaux sur la serrure. « Et sans mon look de lesbienne, ça donne quoi pour toi ? » Hurlais-je en me débarrassant de mes chaussures, de mon t-shirt que je jetais par terre, de ma jupe que je lui lançais en pleine figure. Dans la foulée, je me débarrassais de mes sous-vêtements, sentant les larmes me monter aux yeux. « Ça ne te suffis pas ? Toujours pas ? C'est ce que je suis et tu ne peux pas me changer. Je t'aime et c'est tout ce qui compte à mes yeux. Regarde-moi. Je suis grosse comme une vache. Je suis peut-être lesbienne. Non. JE SUIS LESBIENNE. MERDE. PUTAIN. BORDEL. JE SUIS LESBIENNE. C'EST UNE REPONSE ASSEZ HONNETE POUR TOI ? » Clic, clic. Je me retrouvais projetée de quelques centimètres alors que la porte s'ouvrait soudainement, sous les regards ahuris des perchmans qui tendaient leurs micros au dessus de ma tête, de la journaliste à court de mots, d'une Millie survoltée, le tout en direct du concert d'Ezekiel, projetée sur le grand écran de la salle.