Om maṇi padme hūm (eris)

Je me cramponne plus au chien que je ne le promène. La vérité, c'est lui qui me promène. Et moi je boîte, je titube à sa suite dans l'escalier trop raide qui me ramène dans l'entre de Juza. J'peine à garder les yeux ouverts, malgré la quantité folle de cocaïne présente dans mon sang. Alors j'oblige le chien à faire une pause dans l'escalier en tirant sur sa fourrure orange, et j'me refais une ligne. Ouais, ouais, là, sur la marche cradingue où le chien vient de poser les pattes. Si mon vieux me voyait, l'idée me requinque presque aussitôt. J'ai plaisir à le contrarier, même fictivement, plaisir à faire tout ce qu'il aurait réprouvé que je fasse. C'est puéril mais c'est comme ça, j'crois que j'ai mal grandis, j'crois que j'ai pas grandis, j'ai du m'arrêter vers l'âge de seize ans, quand il m'a dégagé dans ce putain d'asile parce qu'il pouvait plus gérer, que je nuisais à son image en effrayant ma mère. Connards. Tous. J'ai les mâchoires qui serrent et j'sais pas trop si c'est la coke où si c'est les souvenirs des pièces toutes blanches sous les lumières crues, qui me crispe.
J'ai la main sur la poignée de la porte toute fracturée de Juza, et je maudis mon père une fois de plus. Parce que j'ai peur que le nudiste de voisin puisse passer les mains dans le trou et déverrouille la porte de l'extérieur. Non, en fait j'ai pas peur, ça me casse juste sévèrement les couilles. Et un instant je regrette de plus avoir accès à mon compte en banque, ce qui m'aurait permis de racheter une porte digne de ce nom à ma coloc. Une porte blindée par exemple, ce serait pas mal. Je claque le battant un peu trop fort, d'un coup du talon, avant de jeter mon blouson en cuir sur le canapé.
Je me fige dans la seconde qui suit, le nez en l'air, ça pue la fumée. Mais genre pas la fumée de clope ou de bédo, nan nan, la on dirait qu'elle a voulu foutre le feu à la barraque. - Putain mais c'est quoi ce bor... je suis coupée au milieu de ma remarque par un hurlement qui me fait sursauter de peur.
- ERIIIS !
Je change de gueule à l'instant, les yeux écarquillés, je ne peux empêcher les images d'un gigantesque brasier la retenant prisonnière au centre de ma chambre. Je me précipite, sans réussir à savoir si je suis plus inquiète pour elle ou pour la came planquée partout dans ma piaule. J'écarte la porte d'un coup de pied, prête à me jeter dans l’incendie pour sauver ce qui peut l'être, avant de stopper net. La vision de l'énorme chow-chow, penché sur la demoiselle, son énorme gueule baveuse occupée à manger son maquillage, me plis en deux de rire. J'en ai les larmes aux yeux, je me laisse tomber à genoux contre le chambranle de la porte, et il faut que je me fasse violence pour me traîner jusqu'à eux et tirer le chien orange par une touffe de fourrure. - Il t'aime trop, qu'est-ce que tu veux, tous tes trucs vaudous là ça l'excite ! je ricane, en poussant le gros toutou hors de la pièce. - Qu'est-ce que tu fous d'ailleurs, t'essaies de nous foutre le feu ? T'as des tendances pyromanes dont j'ignore l'existence ? je lui demande avant de m'allumer une cigarette histoire de couvrir un peu cette odeur de brûlé. - Parce que si c'est ça j'aurais préféré le savoir avant d'emménager tu vois, j'aurais acheté tout les trucs des pompiers là, comment ça s'appelle ce machin pour heu.. ah un extincteur. bah ouais j'aurais acheté ça quoi. J'ai la dalle, y'a à manger dans le frigo ? Faudrait penser à réparer la porte aussi, tu veux que j'aille demander au voisin ? En parlant de voisin, enfin je parlais pas de lui, il est pas revenu l'autre nudiste en chef la ? S'il est revenu je m'en tape je lui pique sa porte pour l'échanger avec la notre. Putain ce que j'ai la dalle. moulin à parole, moulin de cocaïne, tu sais plus t'arrêter. - Hé le chien orange, rapport moi du Yop steuplait. j'exige en tirant sur la laisse de la plante verte pour lui caresser les feuilles. Se faisant je me tourne à nouveau vers Juza, tout sourire.