Libre • Le silence est terrible.

J'étouffais, je suffoquais à mesure que les secondes filaient sur l'horloge de la cuisine. Ce silence était pesant, pourri. Je n'avais de cesse de me concentrer sur les tic tac de l'horloge afin de ne plus entendre ce silence terrible.
Je détestais être seule, je tournais en rond et j'avais beau mettre la télé en fond sonore, je n'en restai pas moins seule et abattue. Le silence me rappelait celui qui avait suivi ce fameux soir, ce terrible soir sanglant, pleurant et révoltant.
Mes doigts martelaient désormais le plan de travail dans un bruit tout aussi énervant que le reste et ma mâchoire crispait commencer à me faire mal aux gencives.

Desserrant les dents un instant pour m'étirer à nouveau la mâchoire, je me suis levée d'un bon dans l'espoir de trouver quelques chose à faire, quelques chose qui me passerait les nerfs durant un temps.

Et alors que je prenais la télécommande une énième fois depuis le début de la journée, dans le mouvement j'ai fait tomber une brochure du night-club où je n'avais encore jamais mis les pieds depuis mon arrivée... Jeff me dirait certainement de m'y rendre afin de faire d'autres rencontres... Alors j'ai pris ma veste et mes clés de voiture.

Jeff n'était pas disponible pour m'accompagner, prétextant qu'il avait beaucoup de travail... après tout, c'était des plus probables, je ne lui en tiendrait pas rigueur. De toute façon, j'ai une séance demain et j'aurai matière à discuter en sortant. Il sera fier... j'espérai en tout cas.

**

Accoudée au bar, je tenais déjà un verre à cocktail que je faisais tournoyer entre mes doigts, l'olive se frappant sans un bruit contre la paroi transparente du verre. La musique assourdissant résonnait dans ma poitrine, mais la solitude était toujours là, ancré dans mon corps. C'était une mauvaise idée d'être venue, mais alors que je me m'étais relevé pour m'en aller, j'ai bousculé de plein fouet, une autre personne.
« Oh, désolé... »

Je n'ai pas relevé la tête, je n'ai pas cherché à savoir si il m'avait entendu et j'ai commencé à m'en aller d'un pas maladroit.

Une soirée tranquille dans un bar. Tu en avais besoin avec tout ce que tu traversais en ce moment. La plupart se détendent chez eux. Toi tu préfères t'isoler dans des endroits bondés de gens. Pendant qu'ils s'amusent, batifolent avec insouciance, toi tu les observes. Le moindre geste, la moindre réaction. Pendant qu'ils picolent, toi tu établis leurs profils. Tu essaies de deviner leurs vies à travers leurs postures. Quand on est un tueur, profiler est un peu une seconde nature. Repérer les gens, apprendre à les connaître à leur insu. Tiens, comme cette femme accoudée au bar. Tu la regardes depuis qu'elle y ait. Tu t'amuses à essayer de la décortiquer. Ça t'occupe l'esprit et t'empêche de penser à tes propres problèmes. Tu n'es pas venu avec l'envie d'avoir de la compagnie mais quand elle se lève, sûrement pour s'en aller, tu ne résistes pas à l'envie d'aller à sa rencontre. A ta manière. Hors de question que tu l'abordes directement pour qu'elle se mette en tête que tu la dragues. Te mettant exprès sur son chemin, tu te fais bousculer par elle. Parfait. Elle murmure quelque chose, des excuses sûrement, puis commence à s'en aller mais tu ne la laisses pas le temps et tu lui saisis le poignet, l'air menaçant. Vous n'imaginez quand même pas que je vais vous laisser vous en tirer comme ça ? Tu fais mine d'être furieux, le temps nécessaire qu'elle pense que tu l'es vraiment. Puis tu éclates de rire. Je déconne, ne vous inquiétez pas. Mais je ne dirai pas non à un peu de compagnie si vous voulez bien. Tu espères que tu t'y prends de la bonne manière pour qu'elle accepte. Parce qu'elle semblait en avoir beaucoup plus besoin que toi.

Mon coeur s'est mis à battre la chamade dans ma poitrine, je m'en allais sans perdre une minute quand l'homme que j'avais bousculé m'a attrapé le poignet.
Je me suis mise à le regarder de travers quand il m'a interpellé en me parlant sévèrement... J'ai attendu là, un peu hébété par la situation parce que je ne méritais quand même pas un tel traitement pour une simple bousculade.
Jusqu'à ce que je remarque qu'il plaisantait tout bonnement, je me suis alors rendu compte que j'avais arrêté de respirer et que je relâchais seulement la pression en laissant échapper à mon tour un léger sourire.

Il m'invitait à rester en sa compagnie, seulement je souhaitais vraiment rentrer, je ne savais pas ce qui m'avait pris de sortir comme ça... Cela ne changeait rien à mon état d'esprit, alors à quoi bon finalement? Puis finalement, alors que je regardais l'homme en face de moi, que je rencontrai pour la première fois, il allait peut être être celui qui l'empêcherait de penser de trop ? Qui lui permettrait de souffler même que cinq minutes.
« ... Je... D'accord... mais si vous pouviez me lâcher... ça serait moins étrange. »

Un sourire toujours sur les lèvres, quelques peu pincé cependant, stressé par la main serrant mon faible poignet. Il ne semblait plus si dangereux que ça, en tout cas il me paraissait moins effrayant, mais quand une main vous touche de la sorte pour vous tenir à votre place... Ce n'était en rien engageant.

Ah oui, ta main serrait toujours son poignet. Désolé, t'excuses-tu en libérant ton emprise. Elle ne semblait vraiment ravie que tu l'ai abordé, ni que tu lui ai proposé de la compagnie. Tu te demandes si tu as mal fait. Tu aurais dû la laisser tranquille peut-être. Après tout, ce n'est pas ton problème si elle se sent mal ou si elle a l'air trop seule. Tu n'aurais peut-être pas dû t'en mêler. Mais parfois, tu es comme ça. Tu aimes voler au secours des gens, juste comme ça. Bon en même temps, elle n'est pas en danger hein. Juste que... tu l'as un peu trop observé pour comprendre qu'un peu de compagnie serait la bienvenue. Désolé si je vous ai fait peur avec ma petite blague, on me dit souvent que je suis un peu relou quand je m'y mets. Tu souriais pour lui montrer que tu n'es pas dangereux. En fait si, tu est extrêmement dangereux, mais seulement pour tes ennemis et tes cibles. En dehors de ton travail, tu es un vrai ange. Ou presque. Montrant du doigt un box, tu lui demandes si elle souhaite s'asseoir avec toi pour prendre un verre. Un seul et je vous laisse tranquille après. Pendant que tu fais la proposition, tu te demandes quelle mouche te pique. Tu dois être bien ridicule comme ça, à forcer quelqu'un que tu n'avais jamais vu à prendre un verre avec toi. Ce n'est pas vraiment ton truc ce genre d'approche. Ça pourrait presque ressembler à une technique de drague de looser. La honte. Mais quelque chose chez cette femme te pousse à insister. Tu es persuadé qu'une petite discussion de cinq minutes lui fera le plus grand bien.